Marie-Ève LAPORTE

Maître de conférences, co-directrice du MBA Marketing et Communication Santé,
IAE Paris-Sorbonne

Quelles ont été les avancées majeures de la communication santé les 30 dernières années ?

La principale avancée constitue selon moi la place prise par le patient, devenant acteur de sa santé. Il a désormais accès à une vaste information médicale intelligible pour des non-experts, ce qui rééquilibre la relation avec les soignants. De plus, il peut facilement entrer en relation avec des communautés de patients et ainsi échanger sur des points souvent non abordés par le corps médical, comme les aspects pratiques au quotidien d’une maladie ou ses dimensions émotionnelles et sociales : le patient a accès aux retours d’expérience d’autres patients et peut partager les siens. Le risque bien entendu est la diffusion d’informations erronées ou anxiogènes. D’où l’importance d’une communication transparente entre les équipes soignantes et le patient (il doit pouvoir oser leur dire ce qu’il a lu ou entendu sans peur d’être jugé). D’où l’intérêt aussi de développer des patients experts qui prennent la parole. Le monde de la santé commence à mieux intégrer ces points, quand par exemple, il développe des applications santé permettant aux individus de se prendre en charge de façon plus proactive, ou quand il collabore avec des patients pour développer des outils.

 

Quelles devraient être les axes à privilégier en communication santé les 30 prochaines années ?

Il me semble que les nudges (architectures de choix incitant à adopter un comportement plus adapté) pourraient davantage être développés dans le monde de la santé pour changer les comportements des différents acteurs. Ils peuvent efficacement améliorer :

  • la prévention côté public (par exemple en promouvant l’exercice physique),
  • l’observance côté patient (par exemple en incitant les personnes diabétiques à vérifier plus souvent leur glycémie),
  • l’adoption de bonnes pratiques côté soignant (par exemple en réduisant les prescriptions d’antibiotiques).

Les nouvelles avancées technologiques autour de la téléprévention devraient aussi révolutionner la communication santé, car elles permettront un diagnostic plus précoce et plus fiable, sans nécessité de se rendre dans un laboratoire ou un hôpital (cf. capteurs intégrés dans un bracelet, cuvettes de toilettes intelligentes, vêtements connectés…). Cela pourrait aider à lutter contre les déserts médicaux dans les pays développés et démocratiser l’accès aux soins dans les pays en voie de développement. Bien sûr, cela pose la question cruciale de la sécurité des données et de leur utilisation dans le respect de normes éthiques. Cela interroge aussi sur le lien entre le corps médical et l’individu, et le partage de responsabilité médicale.

Dès lors, établir une relation de confiance et de partage entre les différents acteurs me paraît constituer le principal enjeu de la communication santé, d’autant plus complexe que celle-ci est soumise à de fortes contraintes réglementaires. Cela nécessitera en particulier un gros effort de la part des industries de santé, car elles suscitent beaucoup de soupçons et de fantasmes auprès du grand public alors qu’elles voudraient être perçues comme sauvant des vies.

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