En évoquant la perte d’intimité dont souffrent certains patients à des professionnels des soins, j’ai eu différentes réactions.
Certains ont pris cela comme une accusation de non-respect de l’intimité de leurs patients. D’autres se sont sentis honteux de ne pas en avoir pris conscience avant.
Il n’y avait pourtant aucune critique dans mon propos.
Il s’agissait d’un simple constat, issu de nombreux échanges avec des patients et des professionnels de santé, ainsi que de ma propre expérience de patiente.
Pourquoi le sujet de l’intimité semble-t-il à ce point méconnu dans le contexte hospitalier ?
Du côté des patients
Une première observation est que les patients n’en parlent pas, ou très peu.
Tout se passe comme si, à leur arrivée en centre de soins, ils laissaient leur intimité à la porte. De sujets, ils se transforment en objets cliniques, sans en avoir pleinement conscience.
Peut-être est-ce une manière de se protéger de ce qu’ils vont vivre, de mettre en veille leur sensibilité pour accepter les soins.
Ou de se mettre en posture de combat, pour affronter les prochaines épreuves.
Peut-être également se mettent-ils en position basse (par sentiment d’infériorité, ou d’humilité ou de reconnaissance) face à des sachants qui sauvent des vies. « On ne va pas embêter le médecin avec nos ressentis d’êtres sensibles alors qu’il a notre vie entre ses mains. Il a des problèmes à régler autrement plus importants. »
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les professionnels de santé ne soient pas conscients du problème.
Tant qu’ils ne l’ont pas vécu de l’intérieur.
Tant qu’ils n’ont pas porté la fameuse blouse d’hôpital ouverte dans le dos qui oblige à raser les murs pour préserver son intimité.
Tant qu’ils n’ont pas fait l’expérience d’un accouchement ou de tout autre intervention qui peut amener à des situations ressenties comme dégradantes.
Et du côté des soignants ?
Il ne serait pas étonnant que « dépersonnaliser » les patients soit un réflexe inconscient chez les soignants, car il apporte plusieurs bénéfices.
Il permet de garder la bonne distance avec son patient.
Cette distante est importante pour éliminer toute ambiguïté dans les gestes pratiqués (qui peut se poser par exemple à l’auscultation des parties intimes d’un patient).
Cette distance les protège également d’émotions qui pourraient empêcher leur décision ou leur geste dans des situations parfois difficiles.
Cette absence de conscience de l’intimité du patient est également probablement source de gain de temps et d’allègement de la charge mentale des soignants (un sujet en moins à prendre en compte).
On voit donc l’intérêt, pour les deux parties, à ne pas aborder le sujet de l’intimité.
Et pourtant, ne passe-t-on pas à côté de bénéfices en laissant le sujet de l’intimité sous le tapis ? N’y aurait-il pas un équilibre à trouver pour améliorer l’expérience patient sans perdre en qualité technique et efficacité des soins ?
Quels bénéfices attendre de la prise de conscience de l’intimité ?
Voici quelques pistes de réflexion en ce sens.
Pour devenir acteur de son parcours de soins, le patient doit se sentir sujet et non objet. Pour s’impliquer, poser des questions, trouver et proposer des solutions qui conviennent à ses particularités. Le respect de son intégrité physique est une première condition à l’adoption de cette posture.
Quand il n’y a pas moyen d’échapper à l’atteinte de cette intimité, parce que les traitements à pratiquer par les soignants l’imposent, l’expliquer au patient en quelques mots simples lui permettra de le comprendre, de l’accepter, de s’y préparer et de le vivre mieux.
Installer un dispositif de perfusion puis y poser de manière répétée les injections sont par exemple des actes invasifs, vécus comme une agression de l’intégrité physique. Un corps étranger s’immisce dans l’enveloppe corporelle du patient, des fluides qu’il n’a pas choisis lui sont injectés dans les veines.
Ces actes, qui peuvent paraître anodins aux soignants, sont donc porteurs de violence pour les patients.
En être conscient permet de trouver les mots justes, qui reconnaissent le sentiment de violation tout en expliquant pourquoi il faut en passer par là.
Certes, cela exige un effort supplémentaire des soignants, une attention différente à porter aux patients, des explications à élaborer, peut-être des gestes nouveaux à adopter. Mais ils y gagneront par ailleurs.
Un patient ainsi mis en confiance sera plus enclin à livrer des informations pertinentes pour adapter la prise en charge thérapeutique à sa situation particulière et identifier le protocole de soins qui le guérira.
Respecté dans son intimité, le patient sera soulagé, plus détendu. Il sera donc dans de bonnes conditions physiques et psychologiques pour recevoir des traitements parfois très agressifs, limitant ainsi les risques de rejet.
Pourquoi l’intimité est-elle un sujet central chez Rue du Colibri ?
Car nos propres expériences de patientes nous ont montré à quel point le fait de l’ignorer pouvait être mal vécu. Voire se retrouver contreproductif dans le parcours de guérison.
Nous sommes convaincues que les bénéfices apportés par la prise en compte de l’intimité excèdent largement les efforts supplémentaires qu’elle implique au démarrage (avant de devenir routine).
Aussi fait-elle systématiquement partie du cahier des charges des produits que nous concevons.
Nos vêtements ont ainsi été pensés pour préserver au mieux l’intimité du patient :
- A la pose de la perfusion, où seule la zone à traiter autour de la chambre implantable doit être découverte, le reste du buste restant couvert ;
- Pendant toute la séance de perfusion, où le vêtement est complètement fermé, la tubulure passant entre deux boutons-pression ;
- En dehors des soins, avec un décolleté calculé pour dissimuler la chambre implantable.
Nos manchons mettent un voile sur les signes de maladie (qu’il s’agisse d’un cathéter dans le bras, d’un capteur de glycémie ou d’une fistule artérioveineuse), permettant au patient de conserver son intégrité.
Par des solutions simples, nous contribuons donc au respect de l’intimité des patients. Qui n’a pas besoin de plus que de quelques gestes, paroles et produits.
Alors, qu’attendons-nous ?