Jean-Luc CHETRIT

Directeur général de l’Union des marques

Quelles ont été les avancées majeures de la communication santé dans les 30 dernières années ?

Au cours des trente/quarante dernières années, la communication santé a été largement dominée par le lancement de nouveaux médicaments. Par ailleurs, la nécessité de renforcer la sécurité sanitaire a conduit l’Europe et les autorités gouvernementales à contraindre les industriels de la santé à un nombre croissant de contrôles administratifs, ce qui a aussi eu un impact sur leur communication.

On peut citer par exemple :

– la nécessité d’obtention d’une AMM (Autorisation de mise sur le marché) attribuée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) pour les nouveaux médicaments dès 2001,

– le contrôle de l’information sur les spécialités pharmaceutiques destinée aux professionnels de santé, instauré en août 1976 par Simone Veil alors Ministre de la Santé. Cela a conduit progressivement à l’instauration d’un contrôle a posteriori de la publicité dans un premier temps, qui est devenu un contrôle à priori à partir de 2012 (visa de publicité).

Ces quarante dernières années, les méthodes de communication utilisées par les entreprises du médicament pour présenter aux médecins les caractéristiques de leurs produits ont évolué principalement en raison du changement du contexte réglementaire ou pour des raisons financières.

  • la visite médicale, c’est-à-dire la rencontre entre un délégué d’un laboratoire pharmaceutique avec un professionnel de santé pour présenter les spécificités d’une spécialité pharmaceutique ou les modifications qui lui ont été apportées a toujours été un mode de communication majeur dans cette période. Le nombre de visiteurs médicaux s’est beaucoup réduit au cours des dernières années en raison de son coût élevé et de la diminution des médicaments à promouvoir.

 

  • la communication directe des laboratoires vers les médecins – sous forme de mailing notamment – a été interdite à partir de 1976. Les dépenses de communication des entreprises pharmaceutiques ont largement migré vers d’autres médias/canaux de communication.
  • la presse médicale. La suppression des mailings a favorisé la création de nombreux journaux à parution rapide et une croissance importante de ce type de presse. Toutefois, cette forme de communication en plein essor à la fin des années 70 a progressivement diminué vers la fin du siècle. Lorsqu’en 1994, André Rousselet, homme politique et chef d’entreprise lance InfoMatin Médecins, un quotidien pour les professionnels de santé, il se heurtera à la baisse des investissements et se retirera de ce marché.
  • les relations publiques consistant notamment en manifestations locales pour regrouper un certain nombre de praticiens dans le cadre d’une manifestation festive, animée le plus souvent par un médecin enseignant collaborant avec l’entreprise organisatrice se sont fortement développées. C’est pourquoi, la réglementation a imposé aux entreprises de santé comme aux praticiens de déclarer leurs liens d’intérêt afin de présenter une meilleure transparence.
  • les congrès médicaux organisés par des sociétés savantes auxquels les entreprises pharmaceutiques inscrivent des professionnels de santé – en général des leaders d’opinion – en assumant le coût de participation et les frais de déplacement doivent respecter un certain nombre de règles depuis 2013 suite au décret relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme.
  • les ordonnances médicales dans lesquelles sont insérées des publicités pour telle ou telle spécialité pharmaceutique. Les cinq ou six sociétés qui éditaient ces ordonnances se sont progressivement réduites mais le marché subsiste avec deux ou trois entités.
  • Les nouvelles technologies et l’avènement d’Internet ont bien sûr entraîné une vaste transformation de la communication du secteur (sites internet, applications mobiles, e-mailings, réseaux sociaux, digitalisation du parcours client, digitalisation des congrès médicaux…), devenant toujours plus personnalisée, plus proche du client, plus interactive.

Pour mesurer l’efficacité de ces différents modes de communication, l’Union des marques (l’UDA à l’époque), associée à l’AACC santé et au SNPMPS (presse médicale et professions de santé), ont créé le CESSIM (équivalent du CESP) dès 1972 pour mesurer l’audience des différents modes de communication auprès du corps médical généralistes et spécialistes. Cet organisme a connu ses heures de gloire dès sa création jusqu’à la fin du XXème siècle. Après quoi, son rayonnement s’est nettement réduit. Il continue cependant à faire l’étude de la communication médicale avec le soutien technique de l’Institut Ipsos pour mesurer notamment l’incidence du numérique dans l’information des praticiens.

En 2002, l’UDA a été sollicitée par un éditeur de presse et un annonceur pour créer un organisme de suivi de la relation de la presse médicale en fonction du développement des sites internet. Cette démarche donnera naissance à l’association Isidore. Présidée par un annonceur et domiciliée à l’UDA, elle aura pour objectif de mesurer la fréquentation des sites des éditeurs de presse par les professionnels de santé. Après quelques années et en fonction de l’évolution d’Internet, Isidore va connaître une certaine désaffection et sera menacé de disparaître. En 2013, elle renaît de ses cendres avec l’arrivée d’un nouveau président et un changement d’appellation : le Lab e-Santé qui devient un think tank pour réfléchir aux évolutions de la communication santé et proposer des alternatives.

Quelles devraient être, selon vous, les axes à privilégier dans la communication santé dans les 30 prochaines années ?

La prévision étant un art difficile, je ne me hasarderai pas à pronostiquer les directions que prendront les choses en ce domaine. On peut simplement exprimer des souhaits.

Tout d’abord, il est probable que les coûts de recherche continueront à augmenter rendant la commercialisation de nouveaux médicament de plus en plus onéreuse. Les procédures de contrôle mises en place au cours des décennies passées seront maintenues et les contraintes seront peut-être encore plus fortes. La communication santé deviendra un domaine encore plus sensible. Elle devra fixer le plus précisément possible les indications pour lesquelles le médicament est vraiment efficace afin d’éliminer autant que possible des prescriptions excessives hors indications. Il faut mentionner à cet égard que le dictionnaire des spécialités pharmaceutiques – le Vidal – continue à coexister sous sa forme papier traditionnelle, même chez les jeunes praticiens et sous forme numérique. C’est la bible de la pharmacopée, adoubée par les autorités de santé et financée par les laboratoires, le dictionnaire étant diffusé gratuitement aux médecins. Pour terminer, je dirai que la transparence devra être de plus en plus exigeante. Ce devoir de vérité et de dialogue devra être renforcé si les entreprises du médicament tiennent à améliorer leur image auprès d’un public qui sera de plus en plus attentif en la matière.

Notons par ailleurs le lancement du tout nouveau Think tank santé, initiative conjointe de l’AACC santé et de l’Union des marques, avec le soutien de Média.figaro. Ses membres de profil marketing-communication issus de la pharmacie et de la santé ont le souhait de trouver ensemble les solutions pour s’adapter au mieux à un contexte en pleine mutation. Des réflexions qui porteront notamment sur les nouveaux business models dans la santé, l’expérience client tout au long du parcours santé et l’e-réputation.

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