Face à une prévalence des troubles du comportement alimentaire doublée en 12 ans et à la suite de la crise Covid, ces pathologies, pourtant souvent stigmatisées, reviennent brutalement sur le devant de la scène. Toutefois, malgré cette augmentation alarmante, les mesures actuellement mises en place sont-elles réellement suffisantes pour assurer une prise en charge adéquate ?

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) se caractérisent par des perturbations persistantes de l’alimentation, entraînant un comportement alimentaire pathologique et des conséquences néfastes sur la santé physique ou le fonctionnement social. Ils regroupent un ensemble de maladies plus ou moins connues du grand public : anorexie mentale, boulimie, accès hyperphagiques, pica, mérycisme…

Une étude du National Institutes of Health (NIC) révèle une tendance alarmante : la prévalence des troubles du comportement alimentaire (TCA) en France a presque doublé, passant de 24% en 2009 à 46,6% pour les étudiants en 2021 (1). Parmi les plus fréquents, nous retrouvons l’anorexie mentale et la boulimie, des pathologies qui touchent majoritairement les jeunes filles et qui entraînent des conséquences physiques et mentales délétères au pronostic sévère.

A l’échelle de la France et suite à la crise Covid, les consultations en centres spécialisés ont vu leurs chiffres exploser. Les consultations ont été multipliées par deux à Rouen, et les hospitalisations au CHU de Montpellier ont été en hausse de 50% (2).

Structures d’accueil en péril et manque de formation du corps médical

Face à l’urgence grandissante, les centres spécialisés continuent pourtant de faire face à des contraintes budgétaires qui entravent leur capacité à prendre en charge efficacement les patients atteints de TCA.

Ainsi, cette forte demande nécessite d’envisager des critères d’admission plus stricts afin de  garantir  un  désengorgement des demandes. L’indice de masse corporel en est un bon exemple, la normale  se  situant entre 18,5 et 25 kg/m², les personnes ne dépassant pas 14 kg/m² pourraient être prises en charge pour anorexie.

Parallèlement, la prise en charge tardive ou absente de certains patients est également attribuable au refus de prise en charge par le milieu médical, que ce soit lors des consultations ambulatoires en ville ou même dans des situations nécessitant des soins aigus en réanimation. Ce phénomène s’explique en partie par le manque de temps, de formation et de sensibilisation concernant les troubles de l’alimentation parmi le corps médical, ce qui entrave considérablement l’orientation et la prise en charge adéquates des patients.

Les travaux menés par la Direction Générale de l’Offre de Soin (DGOS)en partenariat

avec la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB) entre 2015 à 2019 ont mis en évidence cette problématique cruciale grâce à une série d’auditions de professionnels de proximité non spécialisés dans les TCA (3).

Le constat est sans appel : ces acteurs de terrain se sentent démunis, faute d’une formation adaptée pour traiter efficacement les TCA, l’absence de relais accentuant leurs difficultés. Ils insistent sur la complexité et la durée des prises en charge, alertant sur les risques vitaux que ces situations représentent pour eux-mêmes en tant que professionnels de la santé.

Importance de la prise en charge précoce et acteurs clés d’une prise de conscience Les    personnes  atteintes  de  troubles  du comportement    alimentaire     se     retrouvent fréquemment confrontées à une stigmatisation significative (4), entrainant des répercussions négatives sur leur bien-être et leur prise en charge précoce.

Cette stigmatisation peut les rendre plus réticentes à chercher un traitement et à consulter un professionnel de santé (5), contribuant ainsi à une sous-estimation de ces troubles.

Julia Chipart

@monrapportdiet Diététicienne spécialisée dans les TCA

 » Je travaille en étroite collaboration avec d’autres professionnels de santé, notamment la Maison de Solène et la clinique Montsouris. Malheureusement, il n’existe pas de plateforme officielle permettant aux patients de s’orienter plus facilement vers des spécialistes des TCA, mais des initiatives sont entreprises, comme StopTCA, pour créer un annuaire de professionnels de santé dans ce domaine.

Environ deux tiers de mes patients prennent l’initiative de me contacter d’eux- mêmes, tandis qu’un tiers vient sur recommandation d’un autre praticien. Certains patients en clinique choisissent également d’être suivis par des professionnels de santé en libéral.

La prise en charge complète par la clinique est rare en raison du manque de place, ce qui conduit souvent les patients à consulter d’autres professionnels de santé en parallèle. L’accès aux soins en milieu hospitalier est souvent complexe, ce qui complique la possibilité d’un suivi à plein temps en clinique. « 

Des chiffres révélés lors de la journée mondiale des TCA ayant lieu tous les ans le 2 juin depuis 2021, la France compte près d’un million de cas, dont la moitié ne serait pas diagnostiquée (6). Le nombre est en réalité plus important si on prend en compte “le spectre des TCA” (7), qui est plus large et ne devrait pas se restreindre aux critères de diagnostic du DSM-V, manuel de référence pour les professionnels de santé (8).

Ces constats soulèvent des interrogations fondamentales quant à la viabilité du système de prise en charge actuel et à la manière dont il pourrait être amélioré. Il devient évident que la prise en charge des TCA doit être abordée de manière multidisciplinaire, impliquant tous les acteurs concernés : les patients eux-mêmes, leurs proches, les associations de soutien, ainsi que les professionnels de santé spécialisés ou non. En reconnaissant l’importance de cette approche collaborative, nous pouvons espérer offrir aux patients une prise en charge plus holistique et adaptée à leurs besoins spécifiques.

Adaptation des politiques de santé

Ainsi, il est crucial de souligner que toutes ces actions demandent une prise de conscience et une action concertée des pouvoirs publics. Un engagement politique fort est nécessaire pour mettre en place des politiques de santé publique efficaces, soutenir la formation des professionnels de santé, garantir un accès équitable aux soins et promouvoir la sensibilisation du grand public aux enjeux des troubles du comportement alimentaire.

Crédit : Freepik

Sources

  1. Tavolacci, M. P., Ladner, J., & Dechelotte, P. (2022). Forte augmentation de la prévalence des troubles du comportement alimentaire chez les étudiants pendant la pandémie COVID-19. Nutrition Clinique et Métabolisme, 36(1, Supplement), S28‑ https://doi.org/10.1016/j.nupar.2021.12.053
  2. Quinio, P. (s. d.). Après les confinements, la vague des troubles des conduites alimentaires. Libération. Consulté 27 février 2024, à l’adresse https://www.liberation.fr/societe/sante/apres-les- confinements-la-vague-des-troubles-des-conduites-alimentaires- 20220602_NID2DKCB3ZEU3HRS5FBO53PI3M/
  3. Dhote-Burger, P., Dupont, J., Criquillion, S., & Godart, N. (2019). Rapport sur l’offre de soins pour les TCA en France. https://www.ffab.fr/images/pdf/Rapport_FFAB-DGOS_offre-de-soins- pour-les-TCA-en-France.pdf
  4. Angermeyer, M. C., & Dietrich, S. (2006). Public beliefs about and attitudes towards people with mental illness : A review of population studies. Acta Psychiatrica Scandinavica, 113(3), 163‑179. https://doi.org/10.1111/j.1600-0447.2005.00699.x
  1. Foran, A.-M., O’Donnell, A. T., & Muldoon, O. T. (2020). Stigma of eating disorders and recovery-related outcomes : A systematic European Eating Disorders Review: The Journal of the Eating Disorders Association, 28(4), 385‑397. Brelet, L., Flaudias, V., Désert, M., Guillaume, S., Llorca, P.-M., & Boirie, Y. (2021). Stigmatization toward People with Anorexia Nervosa, Bulimia Nervosa, and Binge Eating Disorder : A Scoping Review. Nutrients, 13(8), 2834. https://doi.org/10.3390/nu13082834
  2. (2022). À propos des chiffres concernant les troubles des conduites alimentaires. FFAB. (s. d.). À propos des chiffres concernant les troubles des conduites alimentaires. Consulté 27 février 2024, à l’adresse https://www.journeemondialetca.fr/
  3. Galmiche, , Déchelotte, P., Lambert, G., & Tavolacci, M. P. (2019). Prevalence of eating disorders over the 2000-2018 period : A systematic literature review. The American Journal of Clinical Nutrition, 109(5), 1402‑1413. https://doi.org/10.1093/ajcn/nqy342
  1. Crocq, -A., & Guelfi, J.-D. (2015). DSM-5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd). Elsevier Masson.

Roksana BERAUD, Celia AISSIOUENE, Anamarija SKRT, Lalie D’AGATA et Lucie CASANELLI