Depuis 2004, le cancer est la première cause de mortalité prématurée en France, devant les maladies cardiovasculaires et, est la première cause de mortalité chez l’homme et la deuxième chez la femme. On estime à 382 000 le nombre de nouveaux cas de cancer pour l’année 2018 en France. (1)
Peut-on considérer les nouvelles technologies comme un outil complémentaire afin d’améliorer les recherches et la prise en charge des cancers ?
L’intelligence artificielle est née dans les années 1950 avec l’objectif de réaliser des tâches humaines par des machines mimant l’activité du cerveau.
Deux courants se sont alors constitués : Les tenants de l’intelligence artificielle dite forte visant à concevoir une machine capable de raisonner comme l’humain, et les tenants de l’intelligence artificielle dite faible mettant en œuvre toutes les technologies disponibles pour concevoir des machines capables d’aider les humains dans leurs tâches, et ainsi identifier des détails pouvant échapper à l’œil humain.
Deux termes importants constituent l’intelligence artificielle : Le Machine Learning et le Deep Learning.
Le machine learning ou « apprentissage autonome », est une science qui consiste à amener les ordinateurs à raisonner et agir comme les êtres humains, et améliorer leur apprentissage de manière autonome, en se nourrissant de données.
Le deep learning, ou « apprentissage profond » est quant à lui un dérivé du machine learning. Celui-ci repose sur les algorithmes des réseaux de neurones artificiels mais également sur des technologies comme la reconnaissance d’images ou la vision robotique. Plus le nombre de neurones est élevé, plus le réseau est « profond ».
En matière de prévention et de traitement, l’intelligence artificielle permet d’identifier des facteurs de risques, analyser plus rapidement et plus efficacement la maladie, et ainsi améliorer la qualité des soins adaptés à chaque patient.
L’intelligence artificielle a permis de nombreuses avancées ; de nouveaux dispositifs médicaux fonctionnent grâce à un algorithme, comme des logiciels de radiologie qui peuvent détecter des tumeurs sur une imagerie médicale et des logiciels sur applications mobiles, qui permettent aux patients de suivre leur maladie quotidiennement.
Start-up, laboratoires, hôpitaux et entreprises au service de l’IA médical.
En France, de nombreuses start-up, laboratoires, hôpitaux, instituts, universités, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises à taille intermédiaires (ETI) collaborent étroitement dans le but de développer de nouveaux outils intelligents dans le diagnostic et le traitement des maladies cancéreuses.
C’est le cas du plan IA2021 lancé en octobre 2018, par Valérie Pecresse, Présidente de la région Ile-de-France. Elle a souhaité mettre l’Intelligence artificielle au service de l’économie francilienne et s’est engagée à donner aux PME et ETI les ressources nécessaires pour utiliser davantage cette technologie au quotidien, notamment en matière de santé.
En 2019, la région Ile-de-France, lance le « AI for Health Challenge » dédié spécifiquement à l’oncologie, en partenariat avec Cancer Campus, Médicen et l’Institut Gustave Roussy. Il consiste à rassembler l’ensemble des éléments de l’intelligence artificielle et de la santé pour mener à bien la stratégie nationale.
Depuis 2019, la région travaille également à la constitution d’un hôpital dit « du futur », à la pointe des technologies d’intelligence artificielle.
Gustave Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe, et Owkin, startup spécialisée dans l’intelligence artificielle, ont récemment annoncé la signature d’un partenariat de recherche qui fait suite au AI for Health Challenge 2019 remporté par Owkin.
« Avec la start-up Owkin, le Pr Fabrice André et le Pr Jean-Yves Scoazec (Gustave Roussy), nous allons travailler à approfondir les modèles proposés par la start-up dans le cadre du challenge AI for Health, afin notamment de développer un algorithme basé sur l’analyse de données multiples pour quantifier le risque de rechute chez les patientes présentant un cancer du sein localisé ; nous allons également nous attacher à mettre en évidence un biomarqueur pronostique à partir de clichés d’imagerie scanner et ultrasons, afin de sélectionner le traitement le plus adapté pour chaque patient ». Professeur Nathalie Lassau, Radiologue à Gustave Roussy.
Plus récemment, la start up Owkin a développé un modèle d’analyse baptisé MesoNet. Celui-ci est basé sur des images de biopsies et, est capable de prédire l’évolution du mésothéliome, cancer agressif attaquant la muqueuse des poumons, la cavité abdominale ou l’enveloppe du coeur.
« L’enjeu n’est pas la compétition entre deux intelligences mais au contraire leur association. Comment l’intelligence humaine pourra utiliser l’intelligence de synthèse pour se faciliter la tâche » Cédric Villani Député et mathématicien.
En 2018, des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) de l’Université Grenoble Alpes ont développé un programme capable de localiser et de diagnostiquer différents types de tumeurs cérébrales par imageries médicales. Cette méthode d’imagerie innovante permet de quantifier des paramètres biologiques variés comme le débit sanguin, le diamètre des vaisseaux sanguins etc…
En collaboration avec des chercheurs de Centrale Supélec, l’Inserm, l’université Paris-Sud et la start up TheraPanacea, l’équipe du Pr Éric Deutsch (Gustave Roussy) a conçu un ordinateur intelligent capable de reconnaître la signature dite « radiomique » de tumeurs solides. Mesurée à partir d’images de scanner, cette signature définit le niveau de cellules immunitaires ayant infiltré la tumeur afin de déterminer l’efficacité du traitement par immunothérapie. Les scanners de 500 patients atteints de différents cancers, ont été traités par cet ordinateur ce qui a permis de recevoir une information biologique extraite d’une image médicale sans réaliser de biopsie auprès des patients.
Dans la même année, des équipes de cancérologie digestive des hôpitaux européen Georges-Pompidou, Cochin, Ambroise-Paré AP-HP et du laboratoire Sciences de l’information et médecin personnalisée du Centre de recherche des Cordeliers de INSERM et de l’Université Paris-Descartes ont élaboré un système d’intelligence artificielle qui permet d’apporter une réponse thérapeutique à une radiochimiothérapie chez les patients atteints d’un cancer du rectum leur évitant une opération. Cela contribue à une prise en charge personnalisée du patient.
« Aujourd’hui en oncologie, l’intelligence artificielle est très présente au niveau de la recherche, via notamment le machine learning, de l’élaboration de nouveaux traitements et tu diagnostic autour de l’imagerie médicale » Rémy Teston – Consultant digital et e- santé
Accompagner le patient pour une meilleure prise en charge
Certaines pathologies nécessitent un accompagnement adapté que les professionnels de santé ne peuvent pas toujours assurer. Les patients se sentent parfois démunis et sans réponses immédiates.
Concernant la prise en charge des patients, l’intelligence artificielle permet de renforcer une certaine autonomie en ayant recours à des solutions comme les robots conversationnels (ou chatbots) réduisant le recours systématique aux professionnels de santé.
Ces robots conversationnels peuvent également s’inscrire dans l’arsenal des programmes d’éducation thérapeutique permettant un accès permanent à l’information et aux outils sans avoir à se déplacer.
C’est le cas du chatbot Vik Sein qui accompagne les femmes ayant un cancer du sein.
Il répond instantanément par écrit, ou bien renvoie vers des sites partenaires (réseaux de patientes, institutionnels, laboratoires pharmaceutiques…) dans le cas de questions plus pointues.
Cet assistant virtuel s’appuie sur des données personnelles afin de rappeler aux patients l’horaire de prise de médicament et leur rendez-vous médicaux.
Les effets secondaires des traitements en oncologie peuvent également être soulagés via des solutions connectées comme MyCharlotte.
Une application gratuite qui permet aux patients de bénéficier de soins de support à domicile : activité physique à son rythme, médiation, relaxation etc… À partir de données renseignées via un questionnaire, MyCharlotte propose un programme quotidien qui prend en compte les douleurs et séquelles de chaque patient.
Les GAFAM, un plein d’innovation en santé
Depuis quelques années, les géants du web ne cessent de mettre à profit leur recherche basée sur l’intelligence artificielle dans le but d’améliorer la santé de demain.
Google Health — en collaboration avec les chercheurs d’une de leur filiale, DeepMind, ont développé un outil fondé sur l’intelligence artificielle et le machine learning capable de repérer sur des clichés radiographiques des tumeurs cancéreuses du sein.
C’est aussi le cas de Google AI, (division de Google dédiée uniquement à l’intelligence artificielle) qui a développé une intelligence artificielle basée sur le deep learning, afin de détecter les cancers du poumon, capable de réaliser toutes les étapes de dépistage de ce cancer de manière totalement autonome.
En 2018, Amazon développe une intelligence artificielle capable d’effectuer un tri des informations contenues dans les dossiers médicaux. Le but étant d’améliorer le suivi des patients. Ce logiciel peut donc traiter des comptes rendus médicaux, tout en identifiant les éléments indispensables à un diagnostic efficace.
Ainsi les professionnels de santé peuvent transmettre leurs fichiers médicaux vers la plate-forme Amazon Comprehend Medical.
Symptômes, examens médicaux, comptes rendus opératoires et images radiologiques sont alors retranscrits numériquement dans un document récapitulatif.
Microsoft, a misé sur l’intelligence artificielle pour l’aide au diagnostic. En septembre 2019, l’entreprise dévoile un partenariat avec l’institut Carnot Calym, un institut de recherche à but non lucratif qui se concentre sur le traitement et le diagnostic du lymphome. Dans le cadre de cette collaboration, Microsoft met à disposition de l’institut lyonnais, ses solutions cloud et sa suite Microsoft Azure avec ses outils de calcul.
Le programme d’IA de l’institut Calym se compose de deux phases :
- Une phase de preuve de concept consacrée à la construction du Lymphoma Data Hub, datalake thématique concentrant l’ensemble des données détenues par un consortium d’acteur, et à la réalisation de projets pilotes de recherche
- Une phase de recherche académique et partenariale prioritairement destinée à améliorer la compréhension des lymphomes, leur diagnostic et leur traitement.
Du coté de Facebook et Apple, ces deux grandes firmes américaines n’ont pas encore développé d’outils dans le domaine de l’oncologie, mais ne cesse de mettre à profit leur recherche autour du diagnostic et du traitement des maladies.
En effet, grâce à la puissance de son intelligence artificielle, Facebook a crée des cartes démographiques extrêmement détaillées dans le but d’aider les chercheurs et les acteurs de santé à lutter contre la propagation des épidémies. Ces cartes démographiques permettent de comprendre l’évolution de ces épidémies et potentiellement, les neutraliser. Facebook affirme avoir récupéré ces données provenant d’images de satellites.
Quant à Apple, la nouvelle édition de sa montre connectée (apple watch), peut désormais diagnostiquer, bradycardies, arythmies et établir des électrocardiogrammes transmissibles à un médecin via le programme Apple Health Records. Depuis peu, la marque s’est lancée dans des études cliniques permettant à des chercheurs de mener leurs études cliniques à partir de données issues de ses applications.
En termes de santé, les potentiels de l’Intelligence artificielle paraissent prestigieux. A l’heure actuelle, les nouveaux algorithmes d’intelligence artificielle nous permettent de donner une vraie valeur médicale sur l’utilisation des données. Les applications mises en place nous permettent de disposer d’outils pour accélérer la recherche et apporter des résultats visibles de traitements.
D’ici 2030, la prévention, la prise en charge des patients, la pharmacovigilance et la recherche clinique devraient s’améliorer. Traitement d’images, traitement du langage, connexion entre les acteurs de la santé, suivi des patients en temps réel etc… l’IA sera d’ici quelques années présente sur tous les fronts de la santé s’appuyant sur la production continue de données nouvelles.
En matière de prévention, les analyses menées sur des données récupérées sur une partie de la population permettront d’identifier des facteurs de risque pour certaines maladies comme le cancer, le diabète ou les maladies neurodégénératives. Elles permettront également, de caractériser plus rapidement les maladies rares, grâce à une analyse plus rapide et plus efficace des images (scanners, échographies) et de construire des systèmes performants d’aide au diagnostic. En ce qui concerne la prise en charge, l’intelligence artificielle participera à une personnalisation des traitements, en fonction de données génétiques, qui permettront des choix thérapeutiques de plus en plus individualisés. Le développement de l’intelligence artificielle en santé n’a pas pour vocation de remplacer le soignant dans sa décision médicale. Elle doit être utilisée comme complémentarité afin d’accompagner le médecin à optimiser la recherche, la prise en charge et la communication auprès du patient, et le soutenir dans sa prise d’autonomie.
Chloé CARMONA PIRES, Étudiante en MBA Communication & Santé (EFAP)
Références
- Institut National du Cancer (INCa) : https://www.e-cancer.fr/
- Région île-de-France : https://www.iledefrance.fr/
- Le Parisien : http://www.leparisien.fr/
- Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : https://www.inserm.fr/
- Les entreprises du médicament (Leem) : https://www.leem.org/