L’expérience santé : Commune ou singulière ?

Les deux, çà semble une facile évidence !

Commune, car la maladie touche tous les êtres humains, sans distinction d’âge, de sexe, de religion ou de classe sociale.

Singulière, car elle est vécue de manière unique par chaque individu, en fonction de son histoire personnelle, de son environnement et de sa perception du monde.

L’enjeu est de trouver un juste équilibre entre ces deux dimensions :

Il est important de reconnaître la part commune de l’expérience santé afin de pouvoir mettre en place des politiques et des programmes de santé efficaces. Il est tout aussi important de respecter sa dimension singulière afin de pouvoir offrir aux individus des soins et un accompagnement personnalisé.

La communication en santé est alors face à un choix :

Adresser le plus grand nombre avec un même message ou multiplier les messages et les canaux (et potentiellement les coûts !) pour atteindre de manière plus ajustée chacun d’entre nous ?

Une manière de faire ce choix est de commencer par définir la « cible » ; qui doit-on réellement toucher ? Quels canaux utilise cette « cible » et comment lui parle-t-on ?

Mais là encore, la « cible » peut être constituée d’individus avec leurs singularités, des compréhensions, vécus et sensibilités différents :

Tout d’abord quel canal ?

Pour certains le professionnel de santé restera la seule référence fiable.

Pour d’autres, le réflexe web est bien instauré. Mais dans ce cas, à qui fait-on confiance ? aux marques ? aux sites orientés santé ?

Et pour les jeunes générations, l’influenceur ou les pairs et la communauté seront peut-être plus justes ?

Quant au message :

Si les mêmes mots avaient pour tous le même sens et le même impact, alors comment expliquer que la réussite de certains traitements dépend du fait que le patient (à qui on aura parlé avec les mêmes mots) aura accepté ou non sa maladie ?

Approche collective ou approche individuelle, c’est à la frontière entre ces deux facettes complémentaires que se situe le travail des associations de patients mais aussi le mien, en charge des relations patients et consommateurs. Nous devons, entre autres, mettre en lumière le vécu des personnes et leurs besoins : Faire que le commun ET le singulier soient connus et inventer avec elles les bons outils pour y répondre.

Ces derniers mots sont pour moi les plus importants et ne sont pas si faciles à appliquer pour une ex du marketing, (d’origine italienne qui plus est) car ils requièrent d’intégrer de nouveaux réflexes pas si naturels ! Nos oreilles doivent ainsi devenir bien plus grandes que notre bouche ! Nos habitudes de jugement doivent aussi s’effacer (et là ce sont les gènes français qui sont chatouillés)

Plusieurs outils viennent heureusement servir cette approche :

Tout d’abord les enquêtes directes visant à collecter le RESSENTI des malades et à en faire une priorité.

1 personne sur 3 souffre d’une maladie de peau dans le monde ! C’est ce qu’a montré notre étude baptisée ALL (all colours, all skins, all dermatoses), réalisée en 2023 dans 20 pays avec 50 000 répondants et cocréée avec des associations de patients et des spécialistes en Dermatologie. C’est déjà un chiffre très important et qui n’avait jamais été évalué.

Ces maladies sont pour la plupart visibles car touchant souvent les mains et le visage.

C’est ici aussi la première fois que les malades s’expriment à cette échelle et chaque fois que nous choisissons un nouvel angle d’extraction dans cette précieuse base de plus de 3 millions de données, nous faisons des découvertes :

  • L’impact des maladies de peau est plus important lorsque les lésions sont localisées sur les mains plutôt que sur le visage. Nous ne l’imaginions pas. « C’est donc un point crucial à évoquer lors de la consultation chez le Dermatologue » comme l’indique le Pr Marie Aleth RICHARD du CHU de Marseille la Timone.
  • Ce sont les jeunes hommes qui se sentent les plus stigmatisés par la dermite séborrhéique et les femmes d’Amérique latine qui déclarent le plus d’acné. Peut-on l’ignorer lorsqu’on choisira une image pour communiquer sur ces indications ?

L’oreille collée aux réseaux sociaux est aussi précieuse : « les malades s’y expriment sans filtre et osent dire ce qu’ils ne disent pas toujours à leur médecin » comme le dit Marie-Claude Boiteux, présidente de la Fédération Française de la Peau.

C’est ainsi que nous avons analysé avec son aide et celle de l’intelligence artificielle plus de 20 000 conversations publiques autour des impacts des maladies de la peau en 2022.

Nous avons alors découvert que là aussi, il y avait des similitudes (peur de ne pas arriver à enrayer la crise, peur de la solitude, du stress…). Mais même si la plupart des maladies de la peau sont chroniques avec des phases de poussées d’inflammation et de rémission, les priorités des malades sont très différentes :

  • Dans l’eczema, c’est la mauvaise qualité du sommeil liée au prurit qui impacte avant tout la qualité de vie avec un retentissement sur toute la famille. Il faudra donc plutôt parler de la façon de réduire les démangeaisons (le terme « inflammation » ne sera pas perçu de la même manière) et ne pas négliger de considérer le vécu des aidants.
  • La transparence des émotions n’est évoquée que dans la rosacée car les malades rougissent sous stress de manière visible à tous. Çà semble pourtant évident mais qui a déjà utilisé cet angle pour s’adresser à eux ?

On le voit donc, les mots à utiliser, les soins à proposer et l’efficacité attendue ne seront pas les mêmes selon la maladie de peau adressée et parfois, connaître la physiopathologie de la maladie n’apportera pas les informations les plus justes pour convaincre l’utilisateur.

Enfin, dans certains domaines, il arrive aussi que les messages échouent collectivement.

Comment expliquer par exemple que 95 % d’entre nous connaissons les messages de prévention des risques liés au soleil mais que seulement 1 personne sur 5 les applique alors que le cancer de la peau fait partie des cancers dont la prévalence évolue le plus ? Peut-on accuser le seul réchauffement climatique ?

Pascale Benaksas, présidente de France Asso Cancer et Peau le dit « c’est le seul cancer visible sur lequel on peut avoir une action avant d’arriver à de lourds diagnostics et tous les pays mettent les bouchées doubles sur le sujet ».

Alors où nous trompons-nous quand nous communiquons ?

Plutôt que de multiplier les angles et les canaux sans effet depuis des années, vient alors le moment de penser à une consultation directe des principaux intéressés = « la cible » et d’envisager avec eux une cocréation devenue incontournable :

Nous avons initié avec plusieurs associations européennes une démarche de ce type auprès des 16-24 ans chez lesquels le cancer de la peau fait partie des cancers les plus fréquents et leur avons demandé comment ils aimeraient être abordés sur ce sujet.

Plus de 60 propositions ont été créées par les étudiants français, (les allemands et espagnols seront également bientôt sollicités).

Là aussi nous avons retrouvé des évidences liées à la cible, comme l’importance du gaming et des influenceurs pour relayer les messages mais aussi des surprises :

Les étudiants ont en effet avancé beaucoup de propositions d’expériences de vie réelle et de proximité (=pas virtuelles du tout !) pour matérialiser les dangers du soleil comme :

  • des parcours « flêchés » à l’ombre dans les villes de France versus des parcours avec des mises en scène utilisant de la peinture cloquée au soleil
  • des jeux intégrant l’application de crème solaire
  • des ateliers éducatifs mobiles proches des lieux de pratique de sport en extérieur
  • L’idée également d’identifier un « référent » dans la « tribu » comme le « Sam » des campagnes contre l’alcool qui conseille, alerte et sur lequel on peut compter.

problématiques santé avec les jeunes générations dont « on dit » qu’elles s’affirment en rejetant l’autorité qui plus est à un âge où la peur de la mort est en général bien lointaine ?

L’enquête ALL nous a là aussi apporté des réponses attendues, et d’autres beaucoup moins, des patients atteints de maladies de peau :

Vers qui les jeunes se tournent-ils pour obtenir une information fiable concernant la santé de leur peau en Europe ?

C’est bien chez les 16-24 ans que les influenceurs sont le plus cités si on compare aux plus de 25 ans. Mais… Ils ne sont cités qu’à hauteur de 14 % !

Les sites internet spécialisés en santé sont cités par 30 % d’entre eux et les sites de marques par 16%.

Et le web n’est encore pas le recours principal car c’est la famille qui domine contre toute attente (38 % !!!) suivie des amis (25%). Ces données font donc mentir l’adage du « jeune rebelle qui n’écoute rien », n’est-ce pas ?

Intégrer les proches dans la communication santé en dermatologie chez les 16-24 ans est ainsi incontournable et prioritaire devant l’avis médical qui domine, en revanche, quant à lui chez les plus de 25 ans.

Il y aurait donc une façon COMMUNE de penser par groupe d’INDIVIDUS ? Ce serait en effet un premier pas vers la singularité !

Ce qui est clair c’est qu’il n’est plus possible d’avancer sans le principal concerné, quelle que soit le nombre de patients consultés.

C’est une évidence, le malade ne sait pas tout, mais c’est bien à lui que s’adresse la communication et l’expérience santé.

S’il est inclus, écouté et considéré comme l’acteur principal de sa santé et UN PARTENAIRE DONT LA VOIX EST DECISIVE, alors son expérience santé a bien plus de chance d’être efficace.

Et c’est bien çà le but non ?

Je suis sûre que cela semble évident, posé ainsi en lettres sur un écran ou sur du papier. Mais gardons cela en tête dans l’exercice de nos métiers de santé de tous les jours : Soyons attentifs et vous verrez que nous dérivons souvent !

Car parfois, l’approche qui est la plus efficace pour lui, n’est pas la plus séduisante ni la plus innovante ou la moins coûteuse en temps ou en moyens.

Alors, vous l’aurez compris, difficile de travailler dans la relation avec les patients sans faire pencher la balance, même en matière de prévention vers une approche plus ajustée à l’individu.

La médecine elle-même, bien qu’elle définisse des approches qui font consensus y définit aussi les critères qui orienteront le traitement et le schéma thérapeutique.

Elle n’applique pas les mêmes protocoles à chaque malade et s’attache de plus en plus à prédire la façon dont ils vont répondre au traitement, c’est donc bien qu’elle admet qu’ils sont différents !

Alors c’est peut-être plutôt en termes de ressources que nous devons fonctionner avec des outils de communications activables en fonction de l’individu.

Pour les ressources digitales, l’intelligence artificielle peut constituer une aide précieuse qui va personnaliser le parcours au fur et à mesure que son utilisateur les pratique.

Pour les ressources plus « humaines », le mot ressource prend un tout autre sens car il en faut tout simplement ! Et cela nécessite de commencer par-là : quelles sont les ressources disponibles avant de définir quelles sont les plus justes.

Quoi qu’il en soit, une des ressources qui ne tarira pas (malheureusement) ce sont les patients eux-mêmes ! Alors toute approche visant à innover avec eux, faciliter leurs échanges, partager leurs expériences, les mettre en réseau et à les impliquer en général de manière sincère ne sera jamais vaine ou vouée à l’échec.

Catherine BAISSAC

Docteur en Pharmacie

Responsable de la relation patients et consommateurs

Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et Personal Care

 

Sources

Saurat JH, Halioua B, Baissac C, Cullell NP, Ben Hayoun Y, Aroman MS, Taieb C, Skayem C. Epidemiology of acne and rosacea: A worldwide global study. J Am Acad Dermatol. 2024 Jan 4:S0190-9622(24)00002-1. doi: 10.1016/j.jaad.2023.12.038.

Marty T, Khadar M, Autelitano L, Baissac C, Mebarki A, Texier N, et al. Patients’ testimonies, feelings, complaints and emotional experiences with dermatoses on open social media: The French infodemiologic patient’s free speech study. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2024; 00: 1–10. https://doi.org/10.1111/jdv.19781

Ezzedine K, Bergqvist C, Baissac C, Cullell NP, Aroman MS, Taïeb C, Lim HW. Use of multiple correspondence analysis to explore associations between caregivers and sun protective habits during summer vacations. Clin Exp Dermatol. 2023 Dec 19;49(1):26-34. doi: 10.1093/ced/llad260. PMID: 37539734.