Marché du médicament : une croissance préservée en dépit de défis à relever
On pensait être sorti de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques sur les systèmes de santé à travers le monde. Il n’en est rien. Même s’il maintient sa croissance, le marché mondial du médicament a été profondément bouleversé. Chamboulé. Déstabilisé. Depuis, les entreprises de biotechnologies se repositionnent. Les spécialités lancées par l’industrie pharmaceutique durant la pandémie sous-performent. À cela s’ajoutent un cadre budgétaire de plus en plus contraignant, mais aussi des professionnels de santé, en sous-effectif, qui s’adaptent au digital et adoptent la visite à distance… La donne a changé. Avec de nouveaux défis à relever pour l’industrie pharmaceutique et les soignants. Un constat qui a fait l’objet de la Matinale de la FNIM du 21 juin 2023, dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris. Une Matinale, également relayée en distanciel, qui a été l’occasion de présenter et détailler l’étude « I360° du marché du médicament », panorama mondial annuel proposé par IQVIA, spécialiste en conseil stratégique et analyse des données de santé. À la manœuvre pour en commenter les résultats : Stéphane Sclison, expert for healthcare industries – principal – chez IQVIA, et Stéphane Burzawa, manager Affaires Publiques et Stratégies d’Accès Economie de la Santé – principal associé – également chez IQVIA. Une présentation animée par Eric Phélippeau, à la tête du Festival de la Communication Santé et président d’honneur de la FNIM.
« Le contexte international post-pandémique est encore incertain. » D’emblée, Stéphane Sclison a donné le ton. Expert for healthcare industries – principal – chez IQVIA, il a amorcé ainsi la présentation des résultats de l’étude I360° du marché du médicament. Un panorama mondial et annuel qui dresse un bilan à date et délivre des prospectives. La situation économique, sociale et politique n’est donc pas stabilisée depuis la crise sanitaire. Avec des dépenses mondiales en médicaments, liées au Covid-19, qui excéderont les prévisions pré-pandémiques de 497 milliards de dollars d’ici à 2027. « Il en résulte une incertitude accrue sur la demande et l’usage du médicament », souligne Stéphane Sclison. Et pour cause : l’interruption des consultations durant les confinements a pu entrainer une aggravation de certaines pathologies, à commencer par le cancer. On observe également une augmentation de certaines pathologies chroniques, telles que l’obésité, le diabète T2 et les maladies cardiaques, due notamment à une sédentarité forcée durant les épisodes répétés de confinement. À cela s’ajoute plus de 100 millions de symptômes nouvellement diagnostiqués chez les patients Covid-19 – en particulier dans les voies respiratoires -, la défiance envers la vaccination à l’origine d’une recrudescence de cas de rougeole, oreillons ou rubéole. Sans oublier l’apparition potentielle de souches plus virulentes de la grippe saisonnière, les cas de dépression à la hausse et une augmentation du phénomène de dépendance à la drogue, à l’alcool, aux psychotropes… D’un côté, rien ne va plus. De l’autre, « le marché mondial du médicament maintient sa croissance », indique l’étude I360°. « Avec un taux annuel moyen qui augmente de 5%, pour atteindre quelque 1 900 milliards de dollars en 2027 », détaille Stéphane Sclison. Toutefois, cela cache de fortes disparités selon les régions du monde. Ainsi, la croissance est au plus haut en Asie-Pacifique et en Amérique du Sud, mais elle baisse en Chine et, dans une moindre mesure, en Europe de l’Ouest comme en Amérique du Nord.
« La France s’inscrit dans cette dynamique annoncée »
Côté thérapeutiques, l’étude I360° fait état d’une croissance forte attendue en oncologie (de 13 à 16%), immunologie, diabète et respiratoire. Dans le détail : les deux aires thérapeutiques les plus importantes et parmi les plus dynamiques en Europe, à savoir l’oncologie et l’immunologie, représentent respectivement 56 milliards et 21 milliards de dollars au 3e trimestre de 2022. L’Europe reste donc « une région incontournable du marché du médicament » et « la France s’inscrit dans cette dynamique de croissance annoncée, avec l’effet dynamiseur de la pandémie qui impacte encore tous les segments », indique Stéphane Sclison. La preuve : l’étude I360° annonce un chiffre d’affaires en 2022 en hausse de 8,1% pour les médicaments non remboursables et de 9,9% pour les remboursables. Un bémol : le cas de l’hôpital, où les dépenses en médicaments ont grimpé de 13,3% en 2022, contre 4,6% en médecine de ville. L’explication du phénomène tient à la croissance de la liste en sus, « qui peut être vue comme un indicateur de la dynamique d’innovation ». Mais Stéphane Sclison tire tout de même la sonnette d’alarme sur le volet des prescriptions hospitalières exécutées en ville : « L’hôpital n’est pas fait pour réaliser autant de consultations externes. » Autre constat de l’étude I360° : la croissance du marché officinal trouve son origine dans l’augmentation des volumes, à savoir deux fois plus qu’en 2021, avec une demande très forte de vaccins contre le Covid-19. Dans un tel contexte, de nouveaux défis se profilent pour l’industrie du médicament. Stéphane Burzawa, manager Affaires Publiques et Stratégies d’Accès Economie de la Santé – principal associé – chez IQVIA, en a identifié une dizaine. À commencer par la généralisation des contraintes budgétaires, qui vont façonner le marché. Mais aussi les baisses de prix : en Allemagne, les remises obligatoires sont passées de 7% à 12% et la période de prix libre n’est plus que de six mois contre un an auparavant. Quant à la France, dans le PLFSS 2023, l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam) s’affiche à 2.4% pour la période 2022-2024, avec en ligne de mire 1,1 milliard d’euros d’économies à réaliser. Si, de 2017 à 2019, la progression de ces dépenses est restée maîtrisée à hauteur de 2,3% par an. En 2020 et 2021, l’Ondam a été largement dépassé, en raison des surcoûts liés à l’épidémie de Covid-19. Et, depuis, il reste fragilisé. Autres défis : l’innovation pour les pathologies liées au vieillissement, l’avenir de la biotech, le rôle de la télésurveillance dans une politique de prévention, la hausse du coût de l’énergie – le Plan national pour des achats durables 2022-2025 peut aider à trouver des pistes pour y faire face… -, le phénomène de déglobalisation, l’engagement et l’adhésion des professionnels de santé à ces nouvelles donnes ou encore la crise des systèmes de santé nationaux. En France, « des évolutions paraissent nécessaires », selon Stéphane Burzawa. À l’instar d’un récent rapport de la Cour des Comptes, il pointe une régulation des dépenses de santé inaboutie et des prescriptions inappropriées, en particulier chez les personnes âgées. Quant aux professionnels de santé, en sous-effectif, avec moins de temps et davantage de contraintes, ils sont encore confrontés aux conséquences de la pandémie. De quelle façon ? En arbitrant entre face à face avec le patient et consultation à distance. En multipliant également les échanges virtuels avec leurs confrères… L’étude I360° évoque l’omnicanal comme solution pour « apporter des éléments de valeur produit, au-delà des contenus traditionnels ». Ce qui se traduit d’ores et déjà avec des dépenses de visite en décroissance. Ainsi chez les médecins généralistes, on observe une baisse de 37% des contacts liés à la visite, entre 2018 et 2022. Celle-ci atteint les 31% chez les spécialistes. Même tendance au niveau européen. Les experts de chez IQVIA font état d’une augmentation du numérique et d’une baisse généralisée des contacts : cette dernière chute notamment de 38% en Allemagne et de 33% en Italie.
Thérapies innovantes et RSE en ligne de mire
La lueur d’espoir pourrait venir des thérapies innovantes. C’est ce que l’étude I360° laisse présager. Et pour cause : celles-ci deviennent enfin « commercialement viables ». Un exemple : Pfizer et GSK sont dans la course pour l’enregistrement du premier vaccin RSV à destination des personnes âgées de plus de 60 ans. Autre cas : le lancement américain de la première thérapie microbiome en 2023. Reste qu’un lancement réussi « se fait en quatre à six mois », explique Stéphane Sclison. Autrement dit : il faut faire vite, être efficace et « avoir préparé des plans B dès le départ », ajoute-t-il. Et ce d’autant qu’aujourd’hui 50% des lancements n’atteignent pas les objectifs financiers initiaux. À qui la faute ? « À une proposition de valeur insuffisante, un engagement inefficace des parties prenantes externes, un manque de préparation interne, une mauvaise coordination et parfois des attentes divergentes entre marketing et médical », énumère encore l’expert de chez IQVIA. Selon l’étude I360°, « les analyses réalisées sur les lancements depuis trois ans permettent de faire ressortir quatre archétypes d’un lancement réussi ». En premier lieu : mieux vaut miser sur le numérique et le multifonctionnel. Dans cette même veine, la flexibilité et les multi-compétences des équipes vont faire la différence. Puis, ne pas perdre de vue que « les payeurs attendent des bénéfices précis sur une population bien déterminée ». Penser aussi à « aider les autorités à faciliter l’accès des patients aux bons professionnels de santé ». Enfin, l’étude I360° ouvre aussi une fenêtre sur les objectifs RSE du marché du médicament. D’ici à 2025, 100% des contrats de la commande publique, notifiés au cours de l’année, devront comprendre au moins une considération environnementale et 30%, une considération sociale. Pollution, recyclage, insertion, lutte contre les discriminations, exigences éthiques et équitables sont autant de thématiques à intégrer dans une dynamique économique et de développement. Ce qui ne fait qu’allonger la liste des défis à relever à l’orée des années 2020.
Stéphane Sclison, expert for healthcare industries – principal – chez IQVIA,
Stéphane Burzawa, manager Affaires Publiques et Stratégies d’Accès Economie de la Santé – principal associé – également chez IQVIA.