Quand nous avons débuté l’aventure de Rue du Colibri, nous pensions, avec une trop grande naïveté sans doute, tomber sur un océan de bienveillance. Car nous entrions dans le domaine du care, c’est-à-dire « l’ensemble des gestes et des paroles essentielles visant le maintien de la vie et de la dignité des personnes, bien au-delà des seuls soins de santé » (Gagnon Éric, 2016, « Care », in Anthropen.org, Paris, Éditions des archives contemporaines). Qui renvoie en particulier à des notions de « sollicitude, d’attention à autrui ».
Et cela s’est heureusement révélé très souvent vrai.
Des rejets difficiles à comprendre
Nous avons été cependant surprises, déçues, blessées de certaines réactions, liées à notre structure juridique. « Vous êtes une société commerciale » entend-on régulièrement.
Même si Rue du Colibri fait partie, statutairement, de l’économie Sociale et Solidaire (ESS), elle n’en reste pas moins une entreprise. Qui ne peut pas se permettre d’offrir ses produits et services mais doit les vendre pour pouvoir vivre et poursuivre son activité, développer de nouveaux produits répondant à des besoins non couverts.
Nous pensons pourtant faire partie de l’écosystème du care. Avec une contribution certes modeste : nous ne créons pas de produits révolutionnaires qui guérissent miraculeusement les patients. Nous leur apportons simplement du confort et de la sérénité à des étapes de vie compliquées, de maladie notamment.
Nous y mettons toute notre passion et notre énergie. Depuis notre rencontre et l’expérience de maladie d’Angeline, nous avons quitté le confort de nos postes pour nous lancer dans cette aventure entrepreneuriale risquée. Un investissement personnel et financier important que le sourire des patients ne nous fait pas regretter.
Certaines réactions nous ont parfois fait douter.
Comme s’il y avait un fossé naturel entre le public et le privé, entre le monde associatif et le monde commercial.
Comme si le statut de notre entité était la preuve que nous n’avions qu’un objectif en tête : nous enrichir, sur le dos des malades qui plus est. Comme si nous étions porteuses de la faute originelle du capitalisme.
Et que notre mission était nécessairement moins noble, importante, vertueuse que celle des structures publiques ou associatives.
Pourquoi une société commerciale serait-elle par essence à bannir parce qu’elle génère des bénéfices ? Si elle emploie ces bénéfices à :
- concevoir de nouveaux produits et services qui répondent à des besoins réels (impossible d’innover sans investissement de départ)
- organiser ses activités pour limiter son impact environnemental
- recruter des collaborateurs et les rémunérer justement,
- participer au financement des dépenses publiques,
- faire des dons à des associations.
Les collaborateurs qui font vivre cette entreprise, dont les besoins de vie sont assurés par une rémunération décente, peuvent à leur tour s’engager dans l’action associative s’ils le souhaitent.
Certes, il y a des gens qui abusent du système. Mais aucune structure ne garantit le comportement éthique de ses membres.
Le désir d’enrichissement personnel qui conduit à des détournements de système peut intervenir partout. Un médecin peut être tenté de réaliser des prestations inutiles ou de prescrire un médicament spécifique en échange de pots-de-vin. Une infirmière peut établir des faux certificats de vaccination contre rémunération. Une association peut utiliser les fonds récoltés pour une utilisation personnelle.
Statistiquement, il y a certes plus de chance que cela arrive dans une structure privée. Mais cela ne signifie pas que toutes les structures privées aient dans leur sein des membres au comportement amoral, qui œuvrent secrètement à leur enrichissement personnel. Car les comportements vertueux d’une structure dépendent avant tout des valeurs qui animent chacun de ses membres, des missions qu’elle se fixe et de l’engagement de ses collaborateurs à les réaliser.
Plaidoyer en faveur d’un jeu collectif
Nous sommes convaincues que TOUS les maillons de l’écosystème des patients ont un rôle à jouer. Et que c’est cette action collective qui permet de rendre leur parcours de soins plus serein et efficient.
Le médecin de ville est souvent le premier intervenant lorsqu’une maladie survient. Il va mettre en œuvre les moyens de diagnostic, puis orienter vers les spécialistes pertinents.
Le médecin hospitalier va prendre le relais et confirmer le diagnostic. Il sélectionne les traitements à appliquer et le protocole de soins, qui peuvent être validés en réunion de concertation pluridisciplinaire. Il explique au patient sa situation et le protocole qu’il préconise.
Des soignants vont réaliser les traitements. D’autres soignants vont compléter les informations données par le médecin sur les traitements. Comment ils vont se passer, les effets secondaires qu’ils peuvent entraîner… Ainsi que les solutions qui existent pour les améliorer. Il peut s’agir de produits, comme les prothèses capillaires en cas de perte de cheveux. Ou de services, comme les prestations de sophrologie.
Des professionnels des soins à domicile seront éventuellement sollicités. Des prestataires de santé à domicile, qui vont installer les équipements nécessaires, coordonner les actions des différents intervenants et tenir au courant les équipes hospitalières. Des infirmières libérales vont pratiquer les soins au domicile des patients. D’autres professions paramédicales pourront également y intervenir (kinésithérapeutes, diététiciens…).
Des officines ou des magasins (matériel médical, prothèses capillaires…) mettront à disposition les produits et équipements dont les patients ont besoin tout au long du parcours de soin. Acteurs de proximité, ils répondent aux diverses questions que se posent les patients dans leur quotidien en dehors de l’hôpital.
Des associations accompagneront les patients dans leur parcours, par de l’écoute, des échanges, du partage de conseils, des sorties et des ateliers & animations thématiques.
En amont, des entreprises (laboratoires pharmaceutiques, fabricants de dispositifs médicaux) produisent les médicaments et les appareils qui permettent de soigner les patients. Et en développent de nouveaux, toujours plus efficaces. D’autres entreprises conçoivent des solutions de confort, qui améliorent la qualité de vie des patients et les rendent plus aptes à bien recevoir leurs traitements.
Peut-être n’est-ce qu’une utopie, un monde de bisounours. C’est pourtant celui dans lequel on s’inscrit. Et on rencontre tous les jours des personnes qui y croient comme nous et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour faire vivre ce monde.
Alors, au lieu de coller des étiquettes aux uns et aux autres, travaillons de concert pour accompagner au mieux les patients dans leurs parcours. Jouons la même partition, celle du patient, avec nos différents instruments. Choisissons la confiance plutôt que la défiance. Et prenons conscience que nous faisons tous partie d’un système dans lequel notre interdépendance et notre complémentarité sont finalement notre force.
Lucie Gueyffier & Angeline Ribadeau-Dumas