Matinale de la FNIM du 15 mars 2023

Aujourd’hui, un médecin sur deux est une femme. Un début d’égalité. Toutefois, lorsque l’on commence à regarder les chiffres de plus près, on est loin de la parité dès qu’il s’agit d’atteindre des postes à responsabilité, faire carrière, intégrer des comités scientifiques, publier des articles de référence… À qui, ou à quoi, la faute ? Les hommes médecins ont-ils conscience de la situation ? Qu’en est-il au sein des facultés de médecine ? Comment remédier à une telle situation ?…

Autant de questions qui ont été posées lors de la dernière Matinale de la FNIM, le 15 mars 2023. Pour y répondre, un trio de femmes, toutes liées aux soins, à la médecine, et membres de l’association Donner des Elles à la santé (DDL).

Fondée en juillet 2020, celle-ci s’est donnée pour mission de comprendre ces inégalités entre soignantes et soignants, les endiguer et faire bouger les lignes en fédérant aussi bien les hommes, les femmes, les personnels hospitaliers du public, du privé, comme ceux des entreprises en santé. Ainsi la FNIM a-t-elle donné la parole à Géraldine Pignot, présidente d’honneur de DDL et chirurgienne-urologue à l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, Elsa Mhanna, secrétaire adjointe de l’association, en charge de la communication et des partenariats, mais aussi neurologue à Paris, et Catherine Auzimour, secrétaire générale de DDL et directrice associée du cabinet de conseil en santé Sirius-Customizer.

Hommes et femmes médecins sont-ils égaux à l’hôpital au XXIe siècle ? La réponse est non. Et ce sont des chiffres qui le disent, le montrent et le démontrent. Des chiffres issus du Baromètre 2022 Donner des Elles à la santé (DDL)-Janssen-Ipsos. Principal constat : la discrimination de genre fait partie du quotidien de l’hôpital. Pas moins de 85% des femmes médecins interrogées se sentent discriminées du fait de leur sexe, durant leur parcours. Dans le détail : pour 66% des femmes, les hommes sont davantage sollicités dans des activités de représentation, 61% pensent que, pour un travail égal, les hommes sont plus valorisés et 33% ont l’impression d’être perçues comme ayant « moins de capacité que les hommes ». À croire que le secteur hospitalier est particulièrement touché par le sexisme et la misogynie ! Les blagues de carabins et la culture de salle de garde n’y sont sans doute pas pour rien. Mais la pilule est de plus en plus dure à avaler à l’heure où 54,5% des praticiens hospitaliers sont… des femmes.

« La maternité ressentie comme un frein pour se hisser jusqu’à des postes à responsabilité »

Autre révélation du baromètre DDL-Janssen-Ipsos : les jeunes générations n’ont pas leur langue dans leur poche. Ainsi 37% des étudiantes ont ressenti de la discrimination du fait de leur sexe durant leurs trois premières années d’études. Un pourcentage qui grimpe à 64% durant l’externat, 57% durant l’internat et 48% durant le clinicat ou l’assistanat. Une femme sur trois, en moyenne, s’en plaint aussi durant sa carrière. « Avec la maternité ressentie clairement comme un frein pour se hisser jusqu’à des postes à responsabilité au sein de l’hôpital », souligne Géraldine Pignot, présidente d’honneur de DDL et chirurgienne-urologue à l’Institut Paoli-Calmette de Marseille. Conséquence : seuls 15% des femmes médecins sont « pleinement » satisfaites de leur vie professionnelle contre 30% des hommes, pointe encore le baromètre DDL-Janssen-Ipsos. Ce qui donnent parfois envie de tout plaquer à 60% des femmes médecins interrogées. Et ce d’autant qu’elles ont du mal à atteindre les postes à forte responsabilité. Pire : une fois sur deux, elles les refusent. Les raisons d’un tel renoncement ? Le manque de temps pour s’occuper des enfants et de la vie de famille (pour 68% des femmes), mais aussi le sentiment de ne pas se sentir « à la hauteur » (pour 18%).

80% des femmes médecins déjà victimes de comportements sexistes

Qu’en est-il des comportements sexistes ? Selon le baromètre DDL-Janssen-Ipsos, pas moins de 80% des femmes médecins en ont déjà été victimes. Propos choquants, gestes inappropriés… la liste de ces « comportements » est longue. De même source : 33% des femmes interrogées évoquent des gestes à connotation sexuelle ou autres attouchements. Ce qu’en disent les hommes ? 77% ont déjà été témoins de paroles, attitudes, commentaires et blagues sexistes à l’égard des femmes. 42% ont assisté à des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles et 33% ont eu connaissance de situations d’agressions sexuelles. « Mais, à l’hôpital, c’est l’omerta », regrette Géraldine Pignot. Peu parlent. Peu en parlent. Et le baromètre DDL-Janssen-Ipsos le confirme : « Seules 16% des femmes médecins ayant vécu au moins une de ces situations de harcèlement déclarent en avoir parlé. » Et pour cause : 84% des femmes victimes ont peur des représailles, à commencer par des mises en danger de leur carrière. Certes le tableau est sombre. Toutefois le baromètre donne une lueur d’espoir avec ce chiffre : un homme médecin sur deux se dit favorable à « l’instauration d’une démarche de parité entre les femmes et les hommes au sein de l’hôpital ».

Publications scientifiques, mentorat et congrès toujours « disparitaires »

La Matinale de la FNIM a également permis d’aborder la problématique de la visibilité des femmes dans l’univers scientifique et celui de la recherche. Avec plusieurs constats de prime abord : « Les femmes scientifiques obtiennent moins de financements. Elles publient moins d’articles, car 70% des droits d’auteurs sont perçus par des hommes. Quant aux femmes ‘première auteur’, elles sont deux fois moins nombreuses que les hommes et publient dans des revues à plus faible impact factor », énumère avec consternation Elsa Mhanna. Secrétaire adjointe en charge de la communication et des partenariats au sein de DDL, elle est également neurologue à Paris. « Dans le domaine de la chirurgie, tous les articles publiés dans des revues scientifiques en 1983 ne l’étaient que par 16% de femmes contre 36,4% en 2019 », poursuit-elle. On progresse… mais lentement. Peut mieux faire aussi côté mentorat, où la place des femmes n’a rien d’enviable. Elsa Mhanna se réfère à un article paru dans Nature Communication en novembre 2020, puis retiré, selon lequel être mentoré par une femme serait « freinant ». Quant à une femme, mentor d’une autre femme, ce serait « le mauvais choix de binôme en matière de publications ». « La revue Nature a quand même dû retirer l’article après de nombreux messages de consternation et le mentionner sur son site », souligne la neurologue parisienne. Enfin, elle s’est intéressée à la présence des femmes dans les congrès médicaux. Son bilan : « Si la moitié des participants sont des femmes, 20 à 30% seulement font partie des intervenants ou des modérateurs dans certaines spécialités. »

Sensibiliser, former et informer

Face à l’ensemble de ces constats, l’association DDL se mobilise. Elle met les pieds dans le plat depuis près de trois ans. De quelle façon ? En développant quatre modes d’action. « En premier lieu, nous sensibilisons aux discriminations de genre et aux violences sexistes et sexuelles », explique Catherine Auzimour, secrétaire générale de DDL et directrice associée du cabinet de conseil en santé Sirius-Customizer. Le baromètre annuel DDL-Janssen-Ipsos est d’ailleurs l’un des outils utilisés en ce sens. « Dans un second temps, nous facilitons la démarche égalité au sein des hôpitaux, en aidant au rapprochement des acteurs concernés. À ce titre, nous avons déjà signé des chartes avec une soixantaine d’hôpitaux », poursuit-elle. Troisième type d’action : « Nous nouons des partenariats et signons des conventions avec les institutionnels. Ainsi faisons-nous désormais partie des interlocuteurs du ministère de la Santé, celui de la Transformation et de la fonction publiques, comme celui des Droits des femmes », détaille Catherine Auzimour. Enfin, quatrième et dernier pilier de DDL : « L’empowerment. » Autrement dit : mettre en place des ateliers de développement personnel, encourager les mises en réseaux, donner davantage de visibilité aux femmes en tant qu’expertes, participer à des colloques de référence… « Oui, les hommes changent ! reconnaît Géraldine Pignot. Surtout quand ils sont pères de filles et qu’ils s’aperçoivent que celles-ci n’ont pas toujours les mêmes facilités que les garçons. Ils changent aussi leur regard sur les femmes médecins quand on leur montre des chiffres, dont ceux de notre baromètre annuel. » La chirurgienne-urologue marseillaise ajoute que « ça bouge également dans les facultés de médecine ». Elle fait allusion aux doyens de plus en plus sensibilisés à la problématique : « Certains se sont même dotés d’une application qui permet aux externes de signaler des comportements sexistes dans un service. » « Il faut casser les habitudes », insiste Catherine Auzimour. À l’instar de Géraldine Pignot qui a suggéré aux organisateurs d’un congrès médical d’en confier la modération à un homme et une femme, tous les deux médecins. C’était en 2021, depuis l’idée a été dupliquée pour les années suivantes. Enfin, les représentantes de la DDL, qui souhaitent multiplier les liens avec la FNIM et ses adhérents, ont annoncé la publication de leur prochain baromètre DDL-Janssen-Ipsos pour la mi-avril 2023. Celui-ci sera, bien sûr, relayé par la FNIM. Tout comme les dates des ateliers (1) – gratuits et libres d’accès pour tous – de la DDL et le contenu de sa charte. Celle-ci vise à favoriser une parité femmes-hommes en santé. Une mission pas si impossible. La preuve : parmi les cinq derniers ministres de la Santé, trois étaient des femmes.


Anne Eveillard, Géraldine Pignot, Présidente d’honneur de DDL et chirurgienne-urologue à l’Institut Paoli-Calmette de Marseille, Elsa Mhanna. Secrétaire adjointe en charge de la communication et des partenariats au sein de DDL et Catherine Auzimour, secrétaire générale de DDL et directrice associée du cabinet de conseil en santé Sirius-Customizer