Des lasagnes à la viande de cheval en 2013, des œufs au fipronil en 2017 et plus récemment du lait en poudre contaminé aux Salmonelles en 2018. Ces scandales alimentaires ne sont pas forcément dangereux pour la santé mais néanmoins, ils font monter la défiance du grand public face au discours des industriels et de l’agrobusiness qui doivent en conséquence réagir[1].

« Aujourd’hui, on ne peut plus communiquer comme avant, il est primordial de prendre en compte les aspects nutrition, développement durable,… tous les aspects sociétaux finalement », affirment Anaïs Maury et Armelle Dardaine-Leopoli de l’agence de communication Sopexa, spécialisée en Food & Drink. Pourquoi cela ? Car seulement 37% des Français font confiance aux grandes marques de l’alimentation d’après une enquête de 2018[2]. Il y a donc une nécessité pour ces dernières d’intégrer ce facteur dans leur stratégie marketing et de communiquer de manière différente, notamment face à une demande croissante d’information de la part des consommateurs. Pas moins de 86% des Français ont de fortes attentes d’information sur les produits alimentaires qu’ils achètent[2]. Par ailleurs, selon cette même enquête, les Français jugent les informations diffusées par les marques alimentaires comme étant à 65% peu complètes, à 62% peu claires, à 58% peu compréhensibles et à 57% peu fiables.

 

Face à cette réalité, les consommateurs cherchent donc de plus en plus à s’informer sur leurs achats obligeant ainsi les industriels de l’agroalimentaire à s’adapter.

 

Les principales sources d’information des consom’acteurs :

« Le consommateur a envie d’être mieux informé sur ce qu’il mange », atteste Anaïs Maury, « mais l’est-il vraiment ? ». Dans tous les cas, il cherche de l’information à la fois sur les réseaux sociaux, grâce au Nutri-Score ou encore depuis peu via les applications alimentaires. Concernant le logo Nutri-Score, il a été mis en place par le gouvernement Français lors de la loi de Santé de 2016. Il s’agit d’un système d’étiquetage facultatif pour les industriels qui offre aux consommateurs une information compréhensible sur la qualité nutritionnelle globale des produits. Dans une enquête publiée le 24 septembre 2018, Santé publique France annonce que le Nutri-Score est plébiscité par 91 % des Français[3]. Les applications alimentaires ont quant à elles fait leur apparition récemment avec notamment « Yuka », qui permet de scanner l’étiquette d’un produit alimentaire afin d’obtenir une information simple, rapide et concrète sur sa valeur nutritionnelle. Ces applications attirent 64% des Français dont 35% les ont déjà utilisés. « Yuka » est l’application la plus connue et la plus utilisée devant « y’a quoi dedans », « openfoodfacts » et « foodvisor »[4] (voir image 1 ci-dessous).

 

Anaïs Maury et Armelle Dardaine-Leopoli rappellent tout de même que l’application Yuka possède un « système de notation assez arbitraire, sans fondement scientifique sauf pour les 60% de leur notation qui reposent sur le Nutri-Score ». C’est la raison pour laquelle en scannant un même produit avec plusieurs applications alimentaires on ne tombe pas forcément sur les mêmes résultats. Ces informations contradictoires peuvent engendrer du stress chez certains utilisateurs qui restent démunis face à cette situation. Enfin, comme le souligne Anaïs Maury « il n’existe pas encore de règlementation pour ces applications considérées comme non marchandes », il faut donc rester prudent quant à la fiabilité des données récoltées lors de leur utilisation.

 

Les attentes des consom’acteurs et réponses des industriels :

Selon Yuka, « au-delà d’aider chacun à choisir de meilleurs produits pour sa santé », « l’objectif est qu’à travers des choix plus éclairés, les consommateurs conduisent les industriels à proposer de meilleurs produits »[5]. Depuis son lancement, Yuka a déjà pu observer de nombreux changements de composition avec par exemple la suppression d’additifs controversés par plusieurs marques. Les Français partagent cet avis puisqu’ils sont 75% à penser que les applications alimentaires vont obliger les industriels à faire évoluer la composition de leurs produits4 (voir image 2 ci-dessous).

Toujours est-il que certains industriels n’ont pas attendu le Nutri-Score ni les applications alimentaires pour donner à leurs produits une meilleure composition nutritionnelle, signale Armelle Dardaine-Leopoli. C’est par exemple le cas de Fleury Michon qui, en 2014, invite les consommateurs à découvrir par eux-mêmes chacune des étapes de fabrication du surimi, de la pêche en Alaska jusqu’à la réalisation de la recette en Vendée, à partir d’un nouveau site web. Sur ce dernier des vidéos preuves sont proposées pour mettre en avant la qualité et la transparence de la production de Fleury Michon[6].

 

Cette recherche d’information croissante cache aussi derrière une volonté de la part du consom’acteur de manger des aliments plus sains (produits diététiques, enrichis ou repensés pour un bénéfice santé), plus naturels (produits « sans », Bio) et provenant d’une agriculture durable (produits labellisés, aliments de saison produits localement avec une juste rémunération pour les producteurs, zéro déchet)[7] (voir image 3 ci-dessous).

Des produits plus sains :

Parmi les Français qui connaissent le Nutri-Score, 90% d’entre eux se disent être influencés au moment de faire leurs courses. Ainsi, 7 personnes sur 10 auraient une meilleure image d’une marque qui présente le logo Nutri-Score sur ses produits3. C’est pourquoi, de nombreux industriels ont décidé de revoir la composition de leurs produits pour pouvoir y apposer le logo Nutri-Score. A ce jour, c’est presque une centaine de marques qui se sont d’ores et déjà engagées (Danone, Bonduelle, McCain, Findus, Marie,…)[8].

 

Pour répondre aux préoccupations de santé des Français, l’association Bleu-Blanc-Cœur s’est engagée dans une démarche d’amélioration de la teneur en Oméga 3 de l’alimentation. Cet acide gras, bénéfique pour la santé, est présent dans l’alimentation dès lors que les animaux ont été nourris avec des fourrages et des graines sélectionnées pour leur richesse en Oméga 3[9]. 64% des Français disent que le logo Bleu-Blanc-Cœur améliore l’image de la marque qui le porte[10]. Ainsi, en 2016, plus de 750 produits alimentaires affichaient le logo Bleu-Blanc-Cœur9.

 

Le marché des boissons non-alcoolisées est en profonde mutation en France : « toute l’industrie des jus s’est mis en tête de s’adapter à la vague anti-sucre »[11]. Le patron du groupe Eckes Granini (connu pour ses marques Joker, Pago et Réa) confirme qu’il a dû revoir la composition de son jus Joker sentant bien que les consommateurs tendaient à se détacher des jus à cause de leur forte teneur en sucre. Il n’a pas été le seul à avoir eu cette approche : Fanta (de Coca-cola) et Pressade (de Britvic) ont tous deux abaissé leur teneur en sucre grâce à l’utilisation de la stévia (voir image 4 ci-dessous). Quant à Oasis (de Suntory), il affiche 17% de sucre en moins sans l’aide d’aucun substitut.

Des produits plus naturels :

Depuis quelques années, les produits « sans » séduisent de plus en plus de Français. En effet, 60% d’entre eux privilégient les produits plus naturels[12]. C’est pourquoi les jambons de Fleury Michon sont « sans nitrite » ou « sans OGM (Organisme Génétiquement Modifié) ni antibiotiques », que les soupes de Knorr sont « sans colorant ni exhausteur de goût », que le cacao en poudre de Nestlé est « sans arôme artificiel », que les tomates de Savéol sont « sans pesticides ». Pour le lancement de ce dernier produit, en 2018, Savéol a tenté une campagne « un brin provocatrice » avec des affiches sur lesquelles on peut lire : « Osez le naturisme », « Faut-il être bio pour être sain ? », « Faut-il être moche pour être naturelle ? », « Faut-il produire peu pour être responsable ? » (voir image 5 ci-dessous). Savéol interpelle ainsi les consommateurs sur leur perception de la naturalité, espérant faire tomber au passage quelques idées reçues[13].

 

Le Bio est un marché qui attire toujours plus de Français : 81% d’entre eux achètent des produits Bio dont 34% en achètent au moins une fois par semaine. A 35% les Français se disent acheter Bio parce que ce sont des produits plus naturels2. Le Bio plait et les industriels l’ont bien compris. C’est pourquoi de nombreuses marques qui n’étaient pas dans le Bio s’y sont lancées. Notamment le groupe Yoplait avec ses marques « Calin Bio » et « Panier de Yoplait Bio », l’entreprise Escal, spécialiste des produits de la mer surgelés qui met en avant cette année sa gamme certifiée Bio (voir image 6 ci-dessous), ou encore le groupe Eckes Granini avec sa marque de jus de fruits granini Bio. Ce dernier produit a permis au groupe d’obtenir sa plus forte croissance : 25% en volume et en valeur en 201711.

Concernant les campagnes de communication des grandes marques de l’alimentation, on peut voir qu’elles essayent d’insister sur le côté naturel de leurs produits. Les affiches deviennent plus épurées, évoquant souvent la nature. Elles montrent également en priorité ce qui est en amont de la fabrication d’un produit (un champ de blé pour le gâteau Prince de LU ou le champ de tomates pour le Ketchup de Heinz). « Dans de nombreuses communications les messages sont aussi plus incarnés, il y a plus d’humain, on peut voir assez souvent un agriculteur travaillant dans son champ par exemple » indique Anaïs Maury. En effet, c’est ce que l’on retrouve la plupart du temps dans les spots publicitaires télévisés. (voir images 7 et 8 ci-dessous)

Plus de développement durable :

« Les consommateurs veulent des marques qui s’engagent » déclare François-Xavier Apostolo, patron de l’activité glaces et boissons du groupe Unilever. Pour répondre à ce besoin grandissant des consommateurs, Unilever accompagne, depuis 2010, ses fournisseurs de légumes et d’aromates dans une démarche d’amélioration continue de leurs pratiques agricoles, grâce au programme « Partenariat Agriculture Durable » de Knorr. Le groupe s’engage à s’approvisionner en ingrédients issus de l’agriculture durable afin de protéger l’environnement et la biodiversité[14].

 

La marque Ben & Jerry’s veut être aussi une marque engagée. A l’occasion de la 21ème conférence des Nations Unies sur le climat (COP21 à Paris en 2015), le groupe encourage ses fans à rejoindre le mouvement pro-climat et faire pression sur les gouvernements, en signant notamment une pétition en ligne pour 100% d’énergie propre d’ici 2050. Pour l’occasion, la marque a décidé de lancer un produit au parfum « Save our Swirled » (SOS) dont les royalties ont été reversées à une association environnementale[15].

 

Les emballages représentent un enjeu clé de l’alimentation durable. Ainsi, les consommateurs veulent des produits moins emballés ou dont les emballages sont recyclables : 71% des Français déclarent toujours choisir des produits dont l’emballage respecte l‘environnement[6]. C’est pour cette raison que pas moins de 25 multinationales de la grande distribution, dont Nestlé, PepsiCo, Unilever, Coca-Cola, Mondelez, Danone, ou encore Carrefour, se lancent dans le zéro déchet. Dès le printemps, ils commercialiseront des produits vendus dans des emballages consignés, réutilisables ou recyclables via un site de e-commerce appelé Loop[17].

 

La dimension éthique ou sociétale dont fait partie le commerce équitable est une dimension émergente et dont l’importance est croissante. En effet, les consommateurs ne veulent plus voir leur plaisir de consommation gâché par des remords à cause d’un manque d’éthique de leurs produits. En 2017, le commerce équitable affichait une augmentation de 10% et dépassait pour la première fois 1 milliard d’euros de ventes aux consommateurs[18]. Ainsi, Ethiquable, une entreprise coopérative, citoyenne et solidaire met en évidence les valeurs défendues par le commerce équitable ainsi que la part du prix du produit revenant aux différents acteurs de la filière (voir image 9 ci-dessous). La marque Alter Eco partage également ces mêmes valeurs.

En conclusion, « le climat autour de l’alimentation est aujourd’hui très anxiogène pour les consommateurs car il n’y a pas un jour sans qu’il y ait un documentaire ou un article à charge dans ce secteur. Cependant, il faut savoir qu’en France on a une industrie agroalimentaire qui est l’une des plus sure au monde. Les consommateurs ont donc aucune raison d’être méfiant, même si de fait ils le sont », s’accordent à dire Anaïs Maury et Armelle Dardaine-Leopoli. Cette méfiance pousse les consommateurs à chercher de plus en plus d’information sur ce qu’ils consomment et en conséquence, ils doivent faire face à une infobésité qui souvent les desservent. Pour finir, retenons tout simplement qu’un aliment n’est pas bon ou mauvais en soi : tout dépend de la quantité et de la fréquence à laquelle vous l’ingurgité, de votre état de santé, de votre âge ou encore de vos dépenses énergétiques.

Aurélia Jacquemin – Etudiante EFAP

[1]https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/08/11/le-scandale-alimentaire-scenario-a-repetition-de-l-agroalimentation-mondialisee_5171473_3244.html

[2] OpinionWay pour FoodCamp « Les Français et l’alimentation : confiance, attentes d’informations et perception de la qualité des produits » ; octobre 2018.

[3]https://www.santepubliquefrance.fr/Accueil-Presse/Tous-les-communiques/91-des-Francais-sont-favorables-a-ce-que-le-logo-Nutri-Score-soit-present-sur-les-emballages-des-produits-alimentaires

[4] Sondage ifop sur « Les Français et les applications alimentaires », novembre 2018

[5] Yuka Dossier de presse, Mise à jour : 11/02/2019

[6] https://www.fleurymichon.fr/venezverifier  /  https://www.fleurymichon.fr/surimi-peche-responsable

[7] https://agriculture.gouv.fr/16-fiches-pour-mieux-apprehender-les-comportements-alimentaires-de-2025

[8] www.mangerbouger.fr/…/1/…/Liste+des+industriels+engagés+pour+le+nutriscore.pdf

[9] https://www.bleu-blanc-coeur.org/c/76/Charte-Bleu-Blanc-Coeur

[10] https://www.bleu-blanc-coeur.org/Blog/article/678-Etude-de-notoriete-Pres-d-un-francais-sur-deux-reconnait-le-logo-Bleu-Blanc-Coeur

[11] https://www.lesechos.fr/25/01/2018/lesechos.fr/0301200210606_joker-se-lance-dans-la-bataille-des-jus-moins-sucres.htm

[12] Etude Ethicity Mai 2016 : « Les Français et la consommation responsable »

[13] Communiqué de presse Savéol Tomates sans pesticides, 5 avril 2018

[14] http://www.unilever-pro-nutrition-sante.fr/soupes-knorr-et-agriculture-durable/

[15] https://www.ladn.eu/news-business/actualites-agences/ben-jerrys-lance-quand-cest-fondu-cest-foutu/

[16] Etude PERIscope 2015, Bord Bia, « Les consommateurs & leur alimentation »

[17] http://www.lefigaro.fr/conso/2019/01/28/20010-20190128ARTFIG00264-nestle-coca-carrefour-de-grandes-marques-vont-remettre-la-consigne-au-gout-du-jour.php

[18] https://www.commercequitable.org/le-commerce-equitable/quelques-chiffres/