La santé numérique n’est plus une fiction. C’est une réalité. Si bien que de nouveaux marchés émergent, s’organisent et offrent des opportunités, en particulier aux adhérents de la FNIM. Car essais cliniques, études de marché, communication, relations avec la presse, formation, conseils réglementaires… sont autant de services utiles pour valoriser et faire connaître les outils numériques du secteur de la santé. À l’instar des applications et autres objets connectés à l’origine de nouveaux usages, de nouveaux comportements, de nouvelles attentes de la part des professionnels de santé et des patients. En ville comme à l’hôpital. Leurs avantages : ils font gagner du « temps médical », ils optimisent l’efficience d’un traitement, certains de ces outils ont même des effets directement thérapeutiques. Mais comment s’y retrouver ? Que signifie DTx ? Quelles sont les avancées à suivre de près ? Et, à terme, le numérique peut-il sauver notre système de santé ? Autant de questions qui ont été posées à Franck Le Meur, président-fondateur de TechToMed, lors de la dernière Matinale de la FNIM, le 26 avril 2023 dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris, également relayée en distanciel. Un débat également nourri en analyses, présenté et animé par Denise Silber, spécialiste en santé digitale, co-fondatrice de VRforHealth.com, fondatrice de Basil Strategies, auteur du livre Le praticien connecté (éditions Edimark), également vice-présidente de la FNIM.
« Dans le secteur de la santé, que l’on travaille dans la communication, le marketing, la publicité, le conseil stratégique, l’événementiel, le design de marque, le packaging ou encore la formation professionnelle – autant de secteurs représentés par les adhérents de la FNIM -, le digital est en train de faire bouger les lignes », explique Denise Silber. Les informations circulent de plus en plus vite. Les réseaux se développent. Les innovations se multiplient. La santé numérique n’est plus du domaine des possibles : elle est réalité. « Des logiciels de gestion à l’aide à la prescription, en passant par la télémédecine, le quotidien des soignants et des soignés évolue, reprend Denise Silber. Un exemple : l’application Nabla, qui retranscrit une consultation et génère automatiquement un compte-rendu, permet au médecin d’économiser 50% du temps qu’il consacre à la gestion des dossiers de ses patients. Plus concrètement : il peut recevoir jusqu’à trois patients de plus par jour… Ainsi études de marché, relations avec la presse, formation ou autres conseils réglementaires sont autant de services utiles pour valoriser et faire connaître ces outils numériques susceptibles de redynamiser notre système de santé. » Voire le « sauver » ? Franck Le Meur, président-fondateur de TechToMed, s’interroge. À juste titre, au regard de la donne actuelle : « D’ici à 2030, une personne sur six, dans le monde, aura 60 ans ou plus et une sur trois en France. À cela s’ajoute une chute de l’offre de soins, liée au vieillissent des médecins en exercice, au numerus clausus, à l’épuisement professionnel post-Covid, au manque de temps durant la consultation médicale… Le tout à mettre en parallèle avec une accélération des maladies chroniques : en France, 20 millions de personnes sont concernées. Autrement dit : 35% de la population couverte par le régime général recourt à des soins liés à une pathologie chronique. » L’état des lieux dressé par Franck Le Meur a de quoi faire réfléchir. Mais, dans le même temps, le digital rebat les cartes. « La santé numérique se déploie, notamment avec 165 start-up spécialisées en ce domaine, recensées en France. Des entités dont les contours restent encore à préciser pour certaines. D’où le rôle que peuvent jouer les adhérents de la FNIM auprès d’elles en termes de communication, édition, positionnement, image, marketing… », ajoute Denise Silber.
Deux milliards alloués au Ségur du numérique en santé
Sur le terrain, qui coordonne ? Qui organise ? Qui gère ? Bref, y-a-t-il un pilote dans l’avion ? « Oui », répond Franck Le Meur, qui parle de « santé data driven ». En effet, depuis 2019, le ministère de la Santé s’est emparé du sujet. En premier lieu, avec une stratégie nationale du numérique en santé, qui a permis, depuis, une accélération de l’échange et du partage des données. Quant à l’Agence du numérique en santé, elle accompagne le mouvement, avec en ligne de mire la création d’une médecine plus préventive et prédictive d’ici à 2030, grâce aux données de santé. Autre outil pertinent : Mon Espace Santé, qui stocke et partage les documents et données de santé de chaque patient, en toute sécurité (dossier médical partagé, Cnam, objets connectés…). Citons aussi le Ségur du numérique en santé, auquel l’État a alloué deux milliards d’euros. Sa mission : généraliser le partage fluide et sécurisé des données de santé entre professionnels et usagers. Quant à G-Nius, guichet national de l’innovation du numérique en santé, il informe sur la réglementation et aide à mieux comprendre la réforme du système de soins contenu dans la loi « Ma Santé 2022 ». Enfin, le Health Data Club facilite le partage des données de santé issues de sources variées, en vue de favoriser la recherche. Dans un tel contexte, les acteurs du numérique – à commencer par les GAFA – observent, s’approchent, se rapprochent, agissent, réagissent au sein du marché de la santé numérique. D’où la crainte de certains d’y voir une ubérisation de l’État. Mais le patron de TechToMed rassure. Pour lui, c’est une opportunité, une façon de créer une dynamique, donner un cadre, avec davantage d’efficacité des dispositifs, à terme. Et ce d’autant que les investissements se resserrent vis-à-vis des start-up. Les modèles économiques se précisent pour désormais générer des chiffres d’affaires dans un secteur qui a le vent en poupe : le cabinet Frost & Sullivan estime à 234,5 milliards de dollars la valeur du marché mondial de la santé numérique en 2023, soit une hausse de 160 % par rapport à 2019.
Six mois d’espérance de vie en plus, grâce à la télésurveillance
Autre constat de Franck Le Meur : « Le numérique impacte aussi l’agenda des professionnels de santé. » Pour illustrer les outils numériques auquel le médecin a déjà accès, le patron de TechToMed cite l’intelligence artificielle (IA) et les technologies d’apprentissage automatique pour l’aide au diagnostic ou à la décision. Il évoque également la chirurgie assistée, le bloc opératoire augmenté, les biomarqueurs digitaux, la robotique en études in silico, les thérapies digitales validées scientifiquement (DTx) ou encore l’impression 3D des médicaments et des tissus. Mêmes avancées numériques quant à l’accompagnement des patients, que ce soit avec la télésurveillance, la téléconsultation, les outils de suivi de toxicité ou de qualité de vie… En effet, des études viennent de montrer que la télésurveillance permet d’augmenter de six mois l’espérance de vie d’un malade. Et ce, sans que cela n’empêche le médecin d’avoir le dernier mot. Il reste le sachant, le prescripteur.
46% des médecins ignorent ce que sont les DTx
Face à ces avancées en santé numérique, des enjeux demeurent. À commencer par celui du savoir, de la connaissance, de l’adoption et des usages du numériques. Une étude menée par le Vidal a récemment montré qu’en France, 46% des médecins ignorent tout des DTx. Autres résultats : 9% des professionnels de santé interrogés disent en avoir utilisé ou prescrit, 72% ne savent pas qu’il existe des DTx remboursées sur le marché français et 78% ne sont pas capables de citer une DTx spontanément. Il va donc falloir former, informer, expliquer, faire preuve de pédagogie. Et ce d’autant que les modèles économiques existent, à l’instar de celui de l’expérimentation ETAPES – qui prendra fin le 30 juin 2023 -, où l’on peut demander l’inscription d’une activité de télésurveillance en oncologie, par exemple. Quant à PECAN, dispositif d’un an de remboursement autorisé, il vise à accélérer l’accès au marché des DMm innovants grâce à un remboursement anticipé.
L’illectronisme touche encore 17% des Français…
« Le virage numérique est bien là », souligne Franck Le Meur. Toutefois, il nuance : « L’usage et l’adoption de ces outils restent insuffisantes et la supply chain des solutions remboursées est à éclaircir. » Pour cela, il prône la formation en ligne des médecins, tout comme celle de commerciaux. Car si la France traine encore, elle risque de creuser un peu plus son retard vis-à-vis des Etats-Unis notamment, où il existe déjà des cliniques virtuelles, avec des thérapies numériques proposées à des patients diabétiques ou suivis en psychiatrie. Avis partagé par Denise Silber. Elle cite en exemple le temps dégagé pour les hématologues, grâce à la télésurveillance, lorsque celle-ci s’applique dans la prise en charge de patients atteints de leucémie. Franck Le Meur ajoute : « Aujourd’hui, des chercheurs ont même montré que l’on peut détecter des passages à l’acte, dans le suivi d’adolescents suicidaires, simplement en regardant leur dernier post sur les réseaux sociaux… » D’un côté, ça avance à la vitesse grand V. Mais de l’autre, ça stagne : en France, selon l’Insee, l’illectronisme – ou illettrisme numérique – touche encore 17% de la population, soit près de 13 millions de personnes.
Anne Eveillard, Journaliste
Denise Silber, spécialiste en santé digitale, co-fondatrice de VRforHealth.com, fondatrice de Basil Strategies, auteur du livre Le praticien connecté (éditions Edimark), également vice-présidente de la FNIM.
Franck Le Meur : Président-fondateur de TechToMed