Cette année encore j’attendais avec impatience le Festival de la Communication Santé et son programme toujours aussi riche. D’autant plus avec le sujet de l’éthique mis au centre de la journée et distillé tout au long des tables rondes et autres speed visions. Vous pourrez revivre l’ensemble des sessions très bientôt en audio et/ou en vidéo, nous y travaillons. Je vous livre ici mes réflexions sur quelques interventions et je ne serai bien sûr pas exhaustif, le programme étant très dense et sans temps mort.
La relation médecin/patient, serpent de mer du développement de la esanté
L’arrivée des outils numériques dans la pratique quotidienne des médecins et dans le quotidien d’information et de “pré-diagnostic” du patient change tout. L’observation n’est pas nouvelle et cela fait déjà 10 ans que tous les événements qui parlent de l’apport du numérique en santé explorent ces changements. D’autant plus lorsque l’on parle d’information et de communication santé, raisons d’être du Festival de Deauville.
Pour être honnête je trouvais que le sujet s’essoufflait un peu depuis déjà quelques années. Aujourd’hui nous connaissons bien les plateformes qui viennent court-circuiter les professionnels de santé du côté du patient. Des sites d’information santé plus ou moins exotiques à des vraies plateformes de télésuivi ou d’information santé fiables sur un pathologie particulière. A l’Ouest rien de très nouveau. Depuis plusieurs éditions du Festival tous les intervenants sont du même avis : il faut que le médecin reste décisionnaire et qu’il conserve son rôle de référent. L’empathie et l’humain “au centre” du parcours de soin comme le martèlent tous les experts.
Mais il y a une grosse différence en cette année 2018. L’intelligence artificielle appliquée au domaine de la santé est passée d’un fantasme vaguement commercialisé par IBM Watson pour l’oncologie, à une réalité de terrain exploitée sous des formes très différentes à des étapes clés très variées du parcours de soin. Le Leem posait donc la question en ouverture du Festival : intelligence artificielle et communication : com dématérialisée, com augmentée, com réinventée ? Que peut changer cette fameuse IA dans le quotidien des acteurs de santé ? C’était tout l’enjeu de cette table ronde qui réunissait, autour d’Eric de Branche, un spécialiste de l’innovation santé, Marco Fiorini (ARRIS), et un communicant, Assael Adary (Occurrence).
Une intelligence artificielle finalement peu intelligente et prédictive
Dans les débats sur l’intelligence artificielle qui fleurissent dans des centaines de conférences professionnelles ces derniers mois, il est presque toujours question de la domination du monde du travail par les machines, d’une apocalypse à venir et des enjeux économiques liées à l’IA. La table ronde conduite par Eric de Branche a pris le sujet en gardant les pieds sur Terre, et cela fait du bien.
Les deux intervenants en ont profité pour casser quelques mythes et rappeler certaines évidences qu’il est bon d’avoir en tête. En communication on espère exploiter l’intelligence artificielle pour scanner en temps réel ce qui se dit sur une pathologie ou sur une marque ou un médicament précis. Pour étudier le comportement des utilisateurs en vie réelle (on en parlait ici), mais avant tout pour prévenir les crises. On pense notamment à la montée des anti-vaccins ou aux polémiques récentes concernant certains médicaments bien en vue. Comme le rappellaient fort justement Assael Adary et Marco Fiorini, l’IA disponible aujourd’hui ne peut pas prévoir ces crises. Elle permet, certes, d’identifier des cas qui peuvent ressembler à ce qui s’est déjà passé, mais sûrement pas de prédire quelque chose de totalement différent. C’est pourtant ce qu’on espère faire avec l’IA sur la prédiction de crise de réputation en temps réel. Nous en sommes encore très loin.
Fake news, dérives thérapeuthiques et dérives sectaires
Autre sessions passionnante j’ai particulièrement apprécié la discussion entre le Dr Damien Mascret du Figaro et le Dr Serge Blisko, président de la Miviludes. Sur un ton détendu mais toujours juste et pertinent, les deux médecins ont abordé le sujet compliqué des dérives thérapeuthique en temps de fake news et de médecines alternatives. Comment contrer ces fake news alors que la rumeur fausse mais vraisemblable se diffuse aujourd’hui plus facilement et plus massivement qu’une information fiable et médicalement vérifiée ?
La défiance envers les professionnels de santé comme les journalistes est difficile à contrer. Il faut plus de pédagogie et d’éducation du grand public à la chose médicale et scientifique, c’est indéniable. Il faut également retourner aux bases du métier de communicant pour bien informer.
Je ne peux pas m’empêcher de reprendre ici l’appel d’Isabelle Gayrard-Auzet, maîtresse de cérémonie de cette journée et rédactrice en chef des rubriques institutionnelles chez Medisite, dans son introduction : “professionnels de santé : aidez nous !”. Elle prenait d’ailleurs avec humilité un exemple de son passé professionnel à la TV en relais d’un certain Professeur Joyeux qui semblait à l’époque être un médecin tout à fait respectable. Il était déjà difficile à l’époque de discerner ce genre d”individus et de théories, ca l’est d’autant plus à l’heure d’internet et des réseaux sociaux qui contribuent, même si il ne sont pas les seuls en cause, ce genre de fake news. Fausses information et désinformation qui peuvent être létales, rappelons-le…
Un appel à l’éthique d’un secteur entier
Pour que les messages passent et soient entendus, les communicants santé ont du pain sur la planche. La confiance sera difficile à réinstaurer avec une frange majoritaire du public. La communication plus directe des professionnels de santé “de terrain” peut y contribuer. L’étude dévoilée par Elsan et Opinion Way lors du Festival prouve que les français sont plutôt favorables à l’ouverture de la communication des médecins. Le local et le véritable lien social seraient-ils les réponses à cette défiance grandissante face aux laboratoires pharmaceutiques et aux institutions soupçonnées de toujours faire le jeu de lobbys ? C’est une très bonne piste de réflexion.
Nous avons d’ailleurs la preuve chaque année avec le témoignage de patients et d’associations de patients qui font bouger les choses avec des actions de terrain. Mention spéciale cette année à Sébastien Kubler et son action de patient expert sur la SEP, mais aussi à Stéphanie Fugain venue témoigner pour sa fille Laurette, et Abdou Djae émérite avocat fraîchement diplomé grâce au soutien de l’association L’Envol.
Cette communication toujours plus sincère et directe a également été une des solutions préconisées par le Dr Gérald Kierzek dans son speed vision de clôture sur le sujet de la relation soignant/soigné. Une intervention militante, comme à chaque fois avec l’urgentiste spécialiste de la communication, qui a pu en agacer certains mais nous a surtout permis de prendre conscience du décalage grandissant entre les attentes réelles des patients et les solutions numériques et “artificiellement intelligentes” qui inondent les services sur le terrain.
Vous l’aurez compris, les interventions du vendredi étaient encore de très haut niveau. Le Festival a une nouvelle fois prouvé son avance sur des sujets cruciaux qui sont abordés ailleurs mais jamais de cette façon et avec cette hauteur de vue. Les patients étaient bien représentés dans les tables rondes et apportent à chaque fois un angle intéressant pour alimenter les discussions. Un point central dans la démarche de Dominique Noel et de son comité qu’il faut sans cesse encourager autant que saluer.
Nous avons déjà hâte de retrouver toute l’équipe et les fidèles festivaliers pour une trentième édition qui s’annonce déjà immanquable dans un an. Le rendez-vous est pris.
Thomas Gouritin – Expert chatbots et IA, vulgarisateur chez Regards Connectés